MUSICAL OU NUISIBLE ?

Juillet vient de se terminer et, avec lui, deux semaines de vacances que je juge personnellement assez méritées, si vous me permettez cette appréciation personnelle sur le travail accompli ces derniers mois. Du coup, pour ces deux petites semaines de vacances, ma tendre épouse et moi-même avions choisi un lieu de sérénité à la spiritualité prégnante : la forêt de Brocéliande. Je ne saurais que trop vous conseiller ce lieu pour tout besoin de repos mais je ne suis pas là pour vous raconter mes vacances, convenons-en.

Si cependant je vous parle de ce lieu aujourd’hui, c’est parce qu’au hasard d’une de nos promenades en famille, nous avons fait la rencontre de deux harpistes qui jouaient au milieu de la forêt, dans une tenue médiévale adaptée au style, rencontre tout à fait improbable en tout autre lieu mais qui nous a semblé naturelle ici. Nous les avons écoutées deux heures durant puis, les ayant quittées, nous avons à nouveau profité du silence et de la sérénité du lieu. C’est le seul moment musical que nous avons eu durant deux semaines.

Car c’est bien ce qui s’est passé ici : la musique a tenu sa place d’art, sans jamais prendre le rôle de nuisance sonore comme cela est malheureusement trop souvent le cas. Revenu dans ma région niortaise, et surtout dans une région plus peuplée, j’ai été replongé dans l’une des caractéristiques de notre civilisation : la nuisance sonore musicale.

Ce mois-ci, vous l’aurez compris, je prends un ton sérieux (une fois n’est pas coutume, diront certains) pour lancer un cri du cœur contre le détournement de la musique à des fins de nuisance sonore et, disons-le, de lobotomisation.

En ma qualité de musicien et mélomane, j’ai certaines particularités qui se retrouvent régulièrement chez nombre de mes congénères : je passe rarement une journée sans écouter de musique, j’aime la musique à un niveau sonore relativement élevé, j’aime partager mes découvertes et ma passion avec autrui et… je suis particulièrement sensible au côté dérangeant de ma passion pour ceux qui ne souhaitent pas la vivre avec moi, voire la subir.

Vous me trouverez peut-être trop naïf mais je pense sincèrement que la majorité des musiciens est parfaitement consciente que cet art peut déranger et que la majorité des abrutis (pardonnez le terme mais je le trouve approprié) qui laissent la musique à fond jusqu’à 3 heures du matin chez eux, alors qu’ils habitent en appartement et empêchent donc leurs voisins de dormir et même de vivre, sont autant musiciens dans l’âme que je suis personnellement motivé par la défense des droits des hooligans en colère.

La vérité, c’est que nous vivons désormais dans une civilisation où l’art musical a deux fonctions : la fonction artistique et celle de remplissage du vide.

Vous ne savez pas quoi dire à votre voisin ? Mettez de la musique, ça remplira et ça évitera de parler.
Vous faites vos courses ? Mettons de la musique en fond sonore, ça empêchera tout le monde de réfléchir tout en poussant le caddie.
Vous allez au restaurant en famille pour passer un bon moment ? Vite, passons un florilège des années 80’s durant tout le repas, ça permettra à tout le monde de se sentir vieux et de commander un dessert bien cholestérolique pour se consoler.

La découverte des possibilités d’enregistrement de la musique est un progrès formidable, n’en doutons pas. Avoir à portée de soi en permanence toute une bibliothèque musicale et pouvoir écouter le morceau de son choix n’importe où est un plaisir précieux qui n’existait pas il y a seulement 50 ans ; remercions les techniciens pour ce progrès.

En revanche, l’application qui en est faite dans notre société est insupportable pour tout humain un tant soit peu mélomane. La recherche du silence dans notre civilisation déjà fort bruyante par l’omniprésence des moteurs de toute sorte est devenue quasiment impossible par les décisions de ces ayatollahs du marketing qui ont compris fort tôt qu’en nous farcissant la tête de jingles et de musiques diverses, nous ne pourrions rester raisonnables et tomberions donc dans le piège de la consommation compulsive.

Notre art est ainsi détourné à des fins essentiellement économiques.

Dans un autre registre, beaucoup de particuliers, persuadés de leur bon goût en matière de musique, estimeraient presque qu’il est de leur droit de vous faire profiter de leur musique sous le seul prétexte qu’elle est, selon eux, de qualité. Or, même une musique que vous adoreriez dans des conditions d’écoute optimale peut devenir réellement insupportable si vous en entendez essentiellement les basses au travers d’un mur. Je me souviens encore de ce voisin qui, parce que nous avions eu une discussion passionnante sur Led Zeppelin un jour, a pensé quelque temps plus tard que passer Kashmir sur sa chaîne 2 fois 500 Watts à 4 heures du matin ne me gênerait pas… vu que je lui avais dit deux semaines plus tôt que j’adorais ce morceau, mon énervement l’a étonné, qu’est-ce qui pouvait bien me prendre ? Avais-je donc changé d’avis ?

La musique est un art qui procure des émotions et des sensations extraordinaires, mais à cela une condition indispensable est requise : que cette musique soit souhaitée par l’auditeur, non subie. La musique a cette particularité que le même morceau peut provoquer plénitude ou stress selon les conditions dans lesquelles il est écouté. Ne l’oublions pas lorsque nous nous adonnons à l’exercice de notre passion, que ce soit en tant que musicien ou mélomane.