Edenya est un projet attachant qui a connu une évolution délicate après la sortie du premier EP suite au départ de sa chanteuse. Pourtant Marco a persévéré et avec un nouveau line-up (Elena et Rémi en plus) a pu sortir un album qui pour un groupe s'appelle paradoxalement "Silence". Music Waves ne pouvait pas louper cette occasion de rencontrer à nouveau l'initiateur du projet.
On se retrouve à l’occasion de la sortie de "Silence". Que s’est-il
passé pour Edenya entre l’EP éponyme et cette sortie ?
Pendant cette période, l’évènement majeur a été le départ d’Ida, la
précédente chanteuse. Cela s’est fait très progressivement : je l’ai vue
beaucoup moins investie suite à la sorte de l’EP, se désintéresser complètement
de sa promotion jusqu’à son départ définitif que j’ai dû moi-même acter au bout
de plusieurs mois. Inutile de dire que la promotion de l’EP fut rapidement oubliée…Ce fut
un coup terrible pour moi car c’était une excellente chanteuse et on
travaillait sur un projet d’album pour lequel elle avait écrit la plupart des
paroles. On avait même déjà enregistré des démos et on prévoyait également des
concerts. C’est vraiment dommage car pendant 4 ans, Ida s’est beaucoup investie
pour Edenya et l’album prévu aurait récompensé le travail fourni. Enfin, pour
couronner le tout, on était amis dans la vie. Mais elle a voulu
complètement changer de vie, y trouver un sens qu’elle a, j’espère, trouvé.
D’ailleurs, je n’ai plus de nouvelles d’elle depuis un bon moment, j’espère
juste qu’elle va bien…
Cette période a été extrêmement difficile car je me demandais
sérieusement si Edenya allait continuer. L’autre difficulté a été d’écrire les
paroles car Ida s’en chargeait la plupart du temps. Mais j’avais beaucoup
d’idées, de compositions que je pensais bonnes et que je ne voulais pas jeter
aux oubliettes. Sitôt le départ d’Ida acté, j’ai recruté Rémi qui est un ami,
puis Elena, peu de temps après. Je me suis donc retrouvé avec deux excellents
vocalistes à la place d’un seul, finalement je me suis retrouvé plutôt chanceux
dans cette affaire ! Tout s’est ensuite enchainé très vite car j’avais un projet d’album
très précis et je savais exactement quels morceaux allaient figurer dessus. Les
structures des morceaux étaient déjà finalisées et il faut croire que les évènements
dont j’ai parlé précédemment m’ont fortement inspiré car l’écriture des paroles
ne m’a pris que 2 ou 3 mois maximum. Il ne manquait plus qu’à enregistrer et à
finaliser les arrangements.
Les sessions d’enregistrement ont été plutôt rapides, il faut dire que
le fait d’avoir deux vocalistes solides techniquement aide beaucoup ! Rémi et
Elena se sont intégrés sans problème au projet et ont tout de suite su
interpréter magnifiquement les morceaux. Le mixage a pris plus de temps car avec Julien, l’ingénieur du son, on
a passé beaucoup de temps à expérimenter, à peaufiner et à travailler le son. Le mastering a été enfin une formalité. Et après bien des galères,
l’album est sorti !
Tu disais considérer Edenya comme un amusement à la base, ne pas avoir
trop d’ambition pour le projet, le départ d'Ida aurait pu remettre donc en
cause la suite pour Edenya, et pourtant le groupe continue, en quoi ton avis a
changé sur ce qui tu considérais semble-t-il toi-même comme étant un jeu ?
Edenya sera toujours, j’espère, un amusement, j’ai toujours aimé
composer, tester différentes idées ou structures, expérimenter… Sur ce point, mon
avis n’a pas changé. Le départ d’Ida a été une épreuve pour moi d’un point de
vue personnel et d’un point de vue musical, mais paradoxalement, je pense que
cette épreuve a nourri encore plus d’ambitions. Je pense que "Silence" va
beaucoup plus loin que notre premier EP sur tous les plans : en termes de
production, de composition, d’arrangement.En somme « Ce qui ne me tue pas me
rend plus fort » selon Nietzsche. Cette citation résume bien l’état d’esprit
dans lequel j’étais à l’époque des enregistrements.
Les EP semblent devenir presque la norme avec peu de musique dans un
album mais à intervalles réduits, pourquoi aller à l’encontre de cette évolution
?
J’ai toujours été amateur d’albums, je n’ai jamais été fan d’EP. Les
raisons pour lesquelles Edenya a commencé à sortir un EP étaient
essentiellement techniques, l’idée était de réaliser un premier enregistrement
« test » avec ses imperfections. Imperfections qu’on allait corriger pour faire
un véritable album.Pour moi un album est un voyage et il faut une certaine
durée pour emporter l’auditeur, l’emmener d’un point A à un point B. Avec un EP
on s’arrête en cours de voyage, en plein milieu de l’océan !
C’est
surement très cliché ce que je vais dire mais pour moi une voix féminine
exprime souvent plus de fragilité qu’une voix masculine
Dans les groupes auxquels tu as participé, les femmes en ont toujours
fait partie : Remedia - groupe de metal avec Sylvie Marchal, Ida et maintenant
Elena, qu’est-ce qu’elles apportent que les voix masculines ne peuvent pas
apporter ?
J’ai toujours été plus sensible aux voix féminines qu’aux voix
masculines. De plus, quand je compose, j’imagine souvent une voix assez aigüe
chanter dessus et je préfère souvent les voix féminines dans ce registre. C’est
surement très cliché ce que je vais dire mais pour moi une voix féminine
exprime souvent plus de fragilité qu’une voix masculine. Par contre, une voix
masculine peut apporter souvent plus de puissance. Et avec Elena et Rémi, j’ai
les deux !
Cette nouvelle composition de groupe (à trois : toi, Elena et Remi) a-t-elle
changé ta manière de travailler ? (Pour rappel : tu disais apporter une
structure instrumentale avec souvent une mélodie vocale, qu’Ida était libre de
suivre ou pas, et Ida apportait ses idées quant au chant et les paroles).
Non, je n’ai pas changé de manière de travailler, le seul changement
est que je me suis occupé également de l’intégralité des paroles. Le choix des
vocalistes s’est ensuite fait de façon naturelle pour chacune des chansons.
L’album "Silence" fait écho aux attentats du Bataclan de 2015,
d’ailleurs des samples de journaux télévisés introduisent ‘Will The Demons Win’,
ce silence semble représenter celui assourdissant qui a suivi ces événements
tragiques, quel est le message que tu as souhaité faire passer en l’intitulant
de cette façon ?
J’ai choisi ce titre principalement car c’était le titre de la plus
longue chanson. En fait, le morceau 'Silence' fait écho à mon combat contre
mes acouphènes qui sont apparus il y a quelques années. Ce silence total que je
ne connaitrai plus. Silence total que plus généralement les gens ne connaissent
plus, tellement ils sont entourés de bruits de toutes sortes ! Pour être
honnête, je n’avais pas pensé du tout pensé aux attentats de 2015 en
choisissant « Silence » comme titre, mais il peut en effet y faire écho comme à
beaucoup d’autres sujets. C’est pour cela que je pense que c’est un bon titre
d’album ! Pour revenir aux attentats, malheureusement je crains qu’à l’avenir
d’autres tragédies de ce type se produisent car je pense que trop de sujets
sensibles ont rapidement été passés sous silence sans avoir été traités.
"Silence"
est un album parfois sombre, parfois triste mais jamais dépressif ou désespéré
et surtout rempli d’espoir
La pochette est très lumineuse avec ce contraste de bleu et de blanc,
une sorte de désert où les gens déambulent comme si la vie continuait, en toute
insouciance, qu’est ce qui explique ce paradoxe entre cette cover et le contenu
de l’album ?
On a eu plusieurs projets de pochette et je pense que celui-ci
exprimait plus le concept de silence, d’insouciance. Je pense que "Silence"
est un album parfois sombre, parfois triste mais jamais dépressif ou désespéré,
et surtout rempli d’espoir comme l’exprime le côté lumineux de la pochette.
Ce nouvel album me rappelle par certains moments Anathema qui eux aussi
ont mis en avant le chant féminin (Lee Douglas) et la dualité voix féminine et
masculine dans leur évolution, mais aussi par certains passages instrumentaux
presque post rock (comme dans ‘Chaos’). Je rajoute également quelques
influences Olfidiennes dans ‘The Promise’ (première partie) ou ‘Sabrina’, ou de
The Gathering, en quoi ces groupes ont-ils nourri ta culture musicale et cet
album ?
The Gathering fait partie de mes groupes préférés, j’aime la sincérité
de leur musique et le fait qu’ils ont toujours cherché à évoluer, à
expérimenter et à surprendre leur public.J’aime également Anathema, surtout
leur album « Alternative 4 ». Quant à Mike Oldfield, j’apprécie son côté
expérimental, ambitieux, un peu foutraque, le fait de faire un album de pop
commercial puis ensuite d’enchainer avec un album instrumental avec des
morceaux de 20 min. J’aime son côté « je fais ce que je veux et je vous emm…. »
, c’est tellement rarissime de nos jours où c’est le business qui règne en
maitre dans la musique.
‘Sabrina’ semble être un dialogue entre deux personnes féminines, une
plus fantomatique et l’autre terrestre, quel symbole peut-on voir dans cet
échange ?
'Sabrina' est une chanson extrêmement personnelle. Les paroles sont
assez sombres mais pas seulement. Je n’ai pas envie de décrire précisément ce
qu’elles signifient, je préfère que chacun s’en fasse une interprétation.
Il y a beaucoup de personnalité dans cet album avec des mouvements
alternatifs souvent atmosphériques puis presque metal, comment attaques-tu la
manière de composer pour apporter cette personnalité et t’émanciper de ces
influences ?
Je ne sais pas, ça me vient naturellement. Je ne me dis pas, tiens,
après ce mouvement atmosphérique, il faut absolument que j’envoie la purée ! La
musique de la plupart des chansons a été composée d’une traite même si elles
ont été composées à des époques différentes. Cela s’est fait simplement et de
manière cohérente.
Ces attentats ont été un traumatisme qui demeure encore aujourd’hui, la
plaie a du mal à cicatriser, ils sont le manifeste que pour terroriser l’art et
la culture sont parmi les plus grandes cibles des terroristes, quel est le rôle
des artistes pour panser cette blessure béante et rentrer en résistance ?
Je pense que la meilleure chose qu’ils ont à faire est de continuer
leur art et surtout de ne pas faire de compromis !
‘Broken Love’ symbolise l’amour brisé, celle des couples détruits peut-être par ces attentats, avec une sorte de mélancolie il fait écho à ‘Chaos’
plus sombre, noir, pourquoi ces titres en particulier sont-ils des
instrumentaux ? Qu’est-ce que l’absence de paroles apporte de plus ici ?
Sur ces titres, je n’ai jamais pensé à inclure des paroles, j’ai
toujours pensé que la musique se suffisait à elle-même. Je pense que l’ajout
d’une voix n’aurait rien apporté de plus et aurait même en partie gâché ces
titres. En fait, quand je compose je sais rapidement s’il y aura du chant ou
pas sur le morceau.
Un morceau sans ambiance et sans
émotion n’a pas sa place dans Edenya.
Tu disais en conclusion de notre précédente interview que tu aurais
aimé qu’on te pose la question de savoir quel est le plus beau compliment que
l’on puisse te dire ou faire sur ta musique, ce à quoi tu disais répondre : "si
quelqu’un me dit que ma musique l’a fait pleurer, j’en serai heureux !" Dans
quelle mesure les émotions sont-elles au centre de ton projet ?
C’est très simple, je dirais qu’un morceau sans ambiance et sans
émotion n’a pas sa place dans Edenya.
Aujourd’hui la musique est devenue un produit de grande consommation,
accessible de partout via les plateformes de streaming alors qu’il y a quelques
années encore elle demandait un effort pour l’acquérir, la majorité des gens
l’entendent plus qu’ils ne s’y attardent, comment ressens-tu cette évolution,
n’est-ce pas frustrant ou bien le prends-tu pour une chance de pouvoir toucher
plus de personnes qui seraient sensibles aux émotions que le groupe véhicule ?
Je dirais les deux. Je trouve extrêmement triste que la majorité des
gens consomme de la musique comme ils consomment un hamburger et ne s’attardent
plus sur l’assimilation d’une musique, de ses harmonies, de ses arrangements et
de sa richesse. Mais c’est le monde actuel, dans tous les domaines, on consomme
: de la nourriture, des films, des séries télévisées, des vêtements et
évidemment de la musique parfois sans but réel juste pour passer le temps…
C’est consternant mais c’est comme ça ! Néanmoins, je nuancerais ce constat car
il y a un public, qui n’est pas majoritaire mais qui reste important pour des
musiques surement plus sincères et plus complexes : il suffit de voir le succès
de groupes comme Tool, Radiohead ou Archive.
Le travail sur les voix et la complémentarité entre les deux chanteurs
a-t-il été complexe à mettre en place, elles sont très justes sans tomber dans
le pathos ou dans l’excès tout en étant suffisamment expressives, comment
avez-vous trouver cet équilibre ?
Je te remercie de ta remarque. Encore une fois, ça s’est fait naturellement.
Quand j’y pense, il n’y a jamais eu de changements quant à la distribution
initiale des parties vocales. Elena et Rémi se sont tout de suite sentis à
l’aise avec leurs morceaux respectifs et il n’a jamais été question de changer
de vocaliste pour telle ou telle chanson. Je les ai très peu guidés dans leur
interprétation, ils ont trouvé tout seuls le ton juste et ont maitrisé
parfaitement leur sujet. Ce sont vraiment des interprètes talentueux !
J’ai vraiment poussé Elena dans ses
retranchements sur cette chanson. Mais je pense que le résultat est là : sa
performance est étourdissante !
'Silence’ est le titre le plus long du disque, du haut de ses onze
minutes, il enchaîne les mouvements avec un début très aérien puis vers 3
minutes il s’oriente vers quelque chose de plus tendu et lyrique (le chant
d’Elena est très symbolique, presque fantomatique à la manière des BOF de Tim
Burton), sa structure est très progressive, qu’est-ce que ce genre apporte à
ton projet que d’autres styles ne pourraient pas ?
J’apprécie évidemment certains groupes de ce genre comme Pink Floyd,
Genesis ou plus récemment Riverside, Tool ou Dream Theater. Tous ces groupes
m’ont forcément influencé. En général j’ai du mal avec les chansons à la
structure linéaire où ce que tu entends à la 3e minute est la même chose que ce
que tu entends sur les 10 premières secondes. J’aime bien quand un morceau
évolue, change d’ambiance au cours du temps et surprend l’auditeur. Quant à la
longueur de la chanson, j’avais tout simplement besoin de ces 11 minutes pour
exprimer toutes mes idées. 'Silence' est peut-être ma chanson préférée de
l’album, il y a la plupart des éléments qui caractérisent Edenya : des
ambiances sombres, d’autres plus apaisées, des passages aériens et d’autres
plus rock, des changements de rythme… J’ai vraiment poussé Elena dans ses
retranchements sur cette chanson. Mais je pense que le résultat est là : sa
performance est étourdissante !
Il y a presque quelque chose de religieux dans ce morceau, attaches-tu
une importance particulière aux croyances ? ou bien préfères-tu parler de
spiritualité ?
Pour ma part, je ne suis pas croyant au sens religieux du terme. Je
dirais juste que je suis attaché à certains idéaux et certaines valeurs de base
comme l’amitié ou la loyauté.
On sent un album aussi personnel, l’écriture pour toi est quelque chose
de cathartique, tu exprimes en musique et avec tes textes ce que tu ne pourrais
pas dire dans la vie normale ?
Oui c’est évident, je suis quelqu’un de réservé dans la vie et en effet
la musique permet de m’exprimer et me sert en quelque sorte d’exutoire.
L’album contient de très belles lignes de cordes (Adrien France) sur de
nombreux titres apportant une dimension orchestrale qui accompagne parfois le
lyrisme qui se dégage de l’album par certains moments, en quoi ce relief était
important pour Edenya ?
J’aime beaucoup le violon, son timbre, son vibrato, je trouve que c’est
un instrument qui en solo peut exprimer beaucoup de lyrisme et de romantisme.
Son utilisation sur certains passages me paraissait évident pour accentuer ces
aspects de ma musique.
Edenya possède une part de mystère mais aussi une part qui me semble
pudique. Aujourd’hui tu entames un processus de promotion avec Dooweet qui
apporte une exposition plus grande au groupe, comment vis-tu ce processus qui
semble être paradoxal avec ce que dégage le projet ?
Il est évident que la promotion n’est pas la partie que je préfère mais
je dirais que c’est un mal nécessaire. Tu peux réaliser le meilleur album du
monde, si personne ne connait son existence, si personne ne l’écoute ou ne
l’achète, c‘est réellement dommage. Toutefois, ce n’est pas déplaisant car
c’est plutôt agréable et flatteur d’échanger avec des journalistes qui ont
apprécié ta musique !
A la sortie du confinement, j’aimerais faire quelques concerts
pour promouvoir l’album.
L’album sort en pleine période difficile pour tous et encore plus pour
les artistes, as-tu eu l’idée de repousser la sortie de l’album, pourquoi ne
pas l’avoir fait et comment envisages-tu de le défendre à la sortie du
confinement ?
Le confinement a été décidé 2 semaines avant la sortie de l’album. Tout
le processus de promotion était déjà trop largement enclenché pour l’arrêter
brutalement. De toute façon, je n’avais pas envie de retarder encore la sortie
de l’album, les enregistrements étaient terminés vers le début de l’année 2019,
ça date un peu et il était temps que l’album sorte ! En fait, la question ne
s’est jamais posée. De plus, on peut se demander quand le confinement va
totalement s’arrêter. A mon avis ce n’est pas demain qu’on retrouvera une
vie normale et qu’on pourra aller voir un spectacle. On vit une grande période
d’incertitude, personne ne peut prévoir ce qu’il va se passer dans les
prochains mois. A la sortie du confinement, j’aimerais faire quelques concerts
pour promouvoir l’album.
Qu’est-ce que le groupe attend de cet album ?
Tout simplement toucher toujours plus de public, toujours plus nous
faire connaitre, avoir une base importante de fans qui nous soutient dans nos
projets.
Un dernier mot de conclusion pour nos lecteurs.
N’hésitez pas à jeter une oreille sur l’album et à nous soutenir via
Facebook si notre musique vous plait.
Merci à toi.
Merci pour cette interview !