Saluons
l’engagement écologique de JPL. On n’en parlera jamais assez…
Ici le thème principal est : voyez ce que l’humain, créature
apparemment fragile, a fait de sa planète. Je suppose que tu as
plein de choses à dire avec la crise du Covid-19, et notamment sur
les conséquences bénéfiques de la limitation des activités
industrielles et de transport sur l’environnement...
Salut, et merci de me donner une tribune pour parler de ma musique !
Je vois que tu fais partie de ceux qui écoutent et comprennent mes
paroles, encore une raison de dire merci ! Finalement, cette
crise n’étant que le prolongement de nos actions sur notre
écosystème, je n’ai pas plus à dire que ce que j’ai déjà dit
et redit au cours des vingt dernières années dans mes chansons. Je
suis juste épaté par le déni de certains qui cherchent encore des
causes ailleurs, et inquiet pour la suite des événements. Tout
indique qu’il faut absolument et urgemment changer nos modes de
vie, et j’ai peur qu’on ne puisse tout simplement que répéter
le passé et nos erreurs. L’avenir proche le dira. Le bénéfice de
l’arrêt des usines et des transports n’est malheureusement que
passager et nous fait juste entrevoir ce que le monde pourrait être
et qu’il ne sera peut-être jamais plus… Je suis peut-être un
peu pessimiste mais rien dans l’histoire récente des hommes ne
montre une propension à changer aussi radicalement. A suivre…
Cette
crise [Covid-19] n’est que le prolongement de nos actions sur notre
écosystème
Avec "Sapiens" tu la joues en solo, mais sans t’éloigner de tes comparses de
Nemo, Jean-Baptiste Itier (batterie) et Guillaume Fontaine
(claviers). Qu’est-ce qui explique que tu aies fait appel à eux ?
Nemo n’est plus actif, mais ça n’empêche pas l’amitié et la
complicité musicale de perdurer. Guillaume a toujours participé, ne
serait-ce qu’un peu, à mes projets solo, et je ne connais pas de
batteur meilleur que Jean-Baptiste. Nous avons en plus développé
une méthode de travail qui est aussi efficace qu’agréable, et je
suis à chaque fois à 200 % satisfait du résultat. L’autre côté
positif étant que le son de Nemo survit un peu dans mes albums !
Cela fait quelque temps que tu as débuté ta carrière
solo et que Nemo est en sommeil, un peu comme Porcupine Tree qui
officiellement n’a jamais été dissous. Avec le recul qu’est-ce
que cette carrière solo t’apporte que Nemo ne pouvait semble-t-il
plus t’apporter ?
Si Nemo est en sommeil, ce n’est pas de mon fait. Il se trouve que
c’est un vrai groupe, qui s’est retrouvé pendant 15 ans dans une
salle de répétition d’où il est sorti 9 albums. Il n’est plus
possible de faire ça depuis plus de cinq ans maintenant, car nous
sommes géographiquement trop éloignés. Peut-être qu’un jour
cela redeviendra possible, on n’en sait rien. Pour répondre à ta
question : travailler seul a ses avantages et ses inconvénients,
tout comme travailler en groupe. L’avantage principal est que je
contrôle 100% de la musique qui sort sous mon nom, je suis mes idées
jusqu’au bout, ce qui n’est pas toujours possible à plusieurs.
Mais j’ai adoré aussi être surpris pendant ces 15 années par ce
qu’il sortait de nos séances de travail, et ça me manque un
peu !
L’album est le début d’un concept sur 3
chapitres. Ce premier semble traiter en partie de l’origine de
l’homme. Qu’est-ce qui explique ce kif orchestral à l’entame
de l’album ('Mastodontes')... Pourquoi n’est il pas plus
développé avec aussi des rythmes un peu plus tribaux comme pouvait
l’être le début de la musique dans la préhistoire ?
Alors je ne peux pas vraiment répondre à ça, comment l’album
aurait-il pu être s’il avait été différent… Ma musique n’est
pas si calculée que ça. Je suis mon inspiration et il se trouve
qu’elle m’a emmené là cette fois ci. Je n’avais jamais poussé
aussi loin le côté symphonique et peut-être que la prochaine fois
la musique tribale sera plus présente ? C’est une idée que
tu me donnes, je la garde sous le bras, merci !
Comment as-tu travaillé sur ce projet ambitieux, est-ce que tu as
fait beaucoup de recherches et lu beaucoup de livres ?
Non, pas vraiment. Je ne souhaite pas écrire un livre d’histoire,
juste résumer la vision que j’ai du développement de l’homme
depuis que l’on sait fabriquer des outils. Mes textes sont imagés
et mon but est qu’ils permettent à l’auditeur de faire sa propre
lecture, sur des faits indéniables. J’ai juste fait attention à
ne pas faire d’erreur historique. Depuis la sortie de l’album, on
m’a conseillé de lire « Sapiens, une brève histoire de
l’humanité » de Yuval Noah Harari, qui traite du même
sujet, ce que je suis en train de faire ! Et j’en recommande
la lecture à tous, avec comme bande-son mon album !
Le
projet semble aborder l’Homme, son évolution et aborde des thèmes
écologiques. Quelle est la partie qui a été la plus difficile à
composer, à aborder pour toi : le passé déjà écrit dans les
livres d’histoire, le présent que l’on vit actuellement, ou le
futur ?
Certainement le futur, qui sera développé dans la troisième partie
de la trilogie. J’y pense dès à présent et je ne sais pas encore
sous quel angle je vais aborder ça. J’ai du temps pour y
réfléchir, tant mieux ! En ce qui concerne le présent, il me
suffit d’ouvrir les yeux et de décrire ce que je vois, avec mon
ressenti personnel. Le passé, on le connaît tous dans les grandes
lignes, et plutôt que de le décrire précisément je m’en sers
comme preuve de ce que j’avance. Genre « vous voyez ce qui
nous arrive ? Rien de nouveau car nous avons toujours agi de la
sorte ».
« Vous voyez ce qui
nous arrive ? Rien de nouveau car nous avons toujours agi de la
sorte »
Tu utilises la vielle à roue sur deux
morceaux. Insérer cet instrument à la sonorité très connotée
moyen-âge - baroque avec son son un peu bourdonnant - dans le rock
progressif moderne n’a pas dû être simple ! Sa présence est pour
le moins discrète dans 'Mastodontes' (il me semble qu’elle est
intégrée dans la dernière section du morceau, plutôt jazzy).
L’intérêt pour les instruments traditionnels n’est pas nouveau,
témoin la présence de la gaïta dans "Le Ver est dans le Fruit" de
Nemo ? Qu’est-ce que l’utilisation de ces instruments apporte,
une volonté de rester organique face à l’électro montante ?
Je n’ai eu aucun mal à intégrer cet instrument dans le son global
de l’album. La vielle a un son proche de la guitare électrique et
les deux se marient à merveille. En effet, elle intervient dans le
thème final de 'Mastodontes', ainsi que dans 'Le
chaud et le froid', et pour la discerner il faut se détacher
de la guitare car les deux instruments sont à l’unisson. J’avais
déjà eu le loisir d’entendre le mélange des deux dans le passé et je voulais ajouter ça à cet album, comme nouveauté pour ne pas
proposer toujours les mêmes recettes. Tu as raison de parler de son
organique, cela contrebalance les sons de claviers numériques que
j’aime beaucoup utiliser aussi.
L’album développe un
ton plus atmosphérique, plus cinématographique qu’auparavant.
Comment expliques-tu cette structure qui semble être une nécessité
par rapport à l’aspect disons chronologique du récit ?
Lorsque je me suis remis à composer fin 2018, après plus de deux
ans de quasi coupure, j’ai voulu quelque chose de différent de mon
travail passé, quelque chose de hors normes et sans limites. Je
voulais retrouver l’esprit des albums de Nemo, où l’on ne savait
jamais à l’avance où notre inspiration collective allait nous
mener. Ainsi est né l’album, ainsi que les deux suites qui sont
déjà composées quasiment entièrement. Tu parles de nécessité,
mais je ne me suis posé aucune contrainte lors de l’écriture de
la musique, et comme toujours les textes sont venus s’y ajouter
après coup. C’est ainsi que je fonctionne : je me sens bien
plus compositeur qu’auteur, et les textes viennent en fin de
course, comme le glaçage d’un gâteau en quelque sorte.
Divers samples parlés sont insérés dans les morceaux : quelle est
leur signification ? Est-ce que cette mode n’a pas pour effet de
casser le fil musical des titres ?
Ils servent à rendre plus réel le propos. Comme je le disais, mes
textes sont assez imagés et le fait d’intégrer des
samples, qui
sont en fait des bandes-son de reportages, rappelle la dure
actualité, la triste réalité, là où la poésie pourrait rendre
les problèmes plus lointains et irréels. J’ai préféré les
laisser en anglais pour garder un côté dramatique qui aurait été
émoussé par la langue française.
Il y aura plusieurs
chapitres donc, est-ce qu’il y aura pour les prochains encore plus
d’invités vocaux en lead (en plus des samples vocaux et des chœurs
présents dans par exemple ’Le chaud et le froid’) un peu comme
Ayreon ?
Je ne pense pas, je ne sais pas. Les textes ne sont pas écrits
encore, la question se posera lorsque j’en serai là. Il se peut
que ma voix ne convienne pas à certains passages, que j’aie envie
d’entendre d’autres grains de voix que le mien, il est trop tôt
pour le dire. Mais je ne pars pas sur le principe d’avoir des
invités coûte que coûte !
L’artwork est magnifique et symbolique ! On note un
télescopage entre un monde ancien (un humain primitif en
avant-scène), un monde plus industrialisé dans le plan médian (le
train à vapeur), un monde futuriste en arrière-plan (les
buildings). Tout au fond, une lueur : soleil ou apocalypse nucléaire,
vision optimiste ou bien pessimiste sur notre devenir ?
Au moment où je réponds à ces questions, nous sommes tous en
confinement à cause d’un nouveau virus dont la dangerosité a été
exacerbée par notre mode de vie « moderne ». Ma vision
du moment est donc plutôt pessimiste ! Mais de toute façon il
est difficile d’être optimiste lorsqu’on voit notre incapacité
à changer un modèle qui nous tuera tous ! Bref, tu as raison,
la couverture de l’album est superbe, je vais encore une fois
remercier Stan-W Decker qui commence à être bien connu et avec qui
je travaille depuis" Le ver dans le fruit" de Nemo,
soit depuis 2013. Je lui ai soumis l’idée de présenter plusieurs
époques de l’histoire humaine sur les différents plans de
l’image, et le résultat est bien au-delà de ce dont je pouvais
rêver ! Ce qui sera intéressant dans les prochains volets de
la trilogie est que l’on va juste se déplacer sur un autre plan
de l’image. J’ai hâte de voir ça !
Il
est difficile d’être optimiste lorsqu’on voit notre incapacité
à changer un modèle qui nous tuera tous !
Les paroles
sont très importantes et pleines de sens, ce qui était le cas chez
Nemo comme dans ta carrière solo. Or aujourd’hui, de moins en
moins de gens s’attachent aux textes, étant portés plus par les
ambiances que par le fond. La façon dont on écoute la musique a
évolué, cela semble être devenu un produit de pure consommation
qu’on entend plus qu’on ne l'écoute attentivement, ne ressens-tu pas
un peu de frustration à l’égard de cela ?
Je ne suis pas forcément d’accord avec ton analyse. La musique de
grande consommation a toujours existé, et selon moi il y a plusieurs
types de consommateurs : ceux qui aiment la musique de fond et
les mélomanes. Il y en a bien sûr encore, tu en es un semble-t-il,
et moi aussi ! Sommes-nous d’une espèce en voie de
disparition ? Peut-être, si on laisse faire les choses. C’est
pour ça aussi que je prends plaisir à faire la musique que je fais.
Je pense qu’elle se mérite, textes inclus, et que celui qui ne
prend pas le temps de s’y attarder aura du mal à la comprendre. Je
n’ai pas de frustration à cet égard car je ne fais pas de la
musique « fast food » et je suis conscient qu’elle peut
ne pas convenir à tout le monde. Par contre chaque nouvel auditeur
est une victoire !
Tu écris et chantes en français
depuis tes débuts. As-tu conscience que cela a pu te fermer quelques
portes, notamment à l’international, là où tu aurais pu utiliser
l’anglais ce qui aurait peut-être pu t’ouvrir encore plus un
marché anglo-saxon ?
Sans doute. Au début je me posais souvent la question, au point
d’avoir enregistré une version anglaise d’un album de Nemo, qui
heureusement n’a pas vu le jour. J’ai ensuite souhaité tester le
chant en anglais sur ma musique avec le projet WolfSpring. J’en ai
retenu deux choses : je préfère rester 100% moi-même en
écrivant dans la langue avec laquelle je peux le mieux m’exprimer,
et le succès ne vient pas forcément plus facilement avec du
chant anglais ! A présent la messe est dite et j’ai vraiment
trouvé ma voie, même si j’aime bien de temps en temps ajouter
quelques traces d’anglais dans les textes. Ça ne m’empêche pas
d’être écouté aux quatre coins du monde par des gens qui ne
comprennent pas le français mais aiment le son de la langue !
Je préfère rester 100% moi-même en
écrivant dans la langue avec laquelle je peux le mieux m’exprimer
Tes interventions à la guitare sont toujours aussi expressives et
contribuent pleinement à la narration du récit, en quoi est-ce que
la guitare plus qu’un autre instrument apporte selon toi un
surplus d’émotion ?
Merci pour le compliment ! Je suis guitariste avant tout et,
sans être véritablement un technicien de l’instrument, je suis
arrivé à l’apprivoiser pour pouvoir m’exprimer avec. Je ne
connais pas assez les autres instruments pour comparer, mais la
guitare électrique permet de laisser transpirer les émotions de par
son côté malléable et le son distordu avec lequel on peut modeler
les notes. C’est assez compliqué à expliquer, c’est un peu
comme le prolongement de la voix…
Je me sens proche de la nature et je
n’ai jamais compris que l’homme puisse la détruire à ce point.
L’écologie est au
cœur de ce projet, penses-tu que le rôle d’un artiste est
aujourd’hui d’apporter une prise de conscience sur l’importance
du sujet qui semble devenir lui aussi un sujet presque marketing ?
N'as-tu pas peur de surfer sur une vague que l’on regarde parfois
sous cet angle-là (on a parlé de l’action de Greta Thunberg comme
justement d’un engagement presque dirigé par des groupes écolos
pour faire du profit) ?
Je ne surfe sur aucune vague et je n’écoute pas les critiques de
ceux qui voudraient transformer toutes les belles actions en basses
manœuvres. Depuis mon enfance je me sens proche de la nature et je
n’ai jamais compris que l’homme puisse la détruire à ce point.
Dans tous mes albums, du premier au dernier, il y a au moins un texte
traitant du sujet, quand ce n’est pas le sujet de tout l’album.
Après, si cela devient un sujet à la mode, tant mieux pour moi et
tant mieux pour la nature !
Si chacun
applique à soi-même des règles de vie saines et respectueuses de
l’environnement et reste fermé aux sirènes de la consommation,
on sera sur la bonne voie.
Beaucoup d’artistes
posent un constat, des questions plus qu’ils n’apportent de
solutions. Comment les artistes peuvent-ils aller plus loin selon toi
dans cet engagement, s’ils le doivent d'après toi ? Pourquoi par
exemple n’y a-t-il plus de grands festivals autour de cette cause
qui pourrait par exemple vous réunir toi Lazuli, Galaad... mais
au-delà du prog d’autres artistes plus généralistes comme ça
pouvait l’être dans les années 80 (Live Aid, etc) ?
Les solutions sont d’abord individuelles à mon avis. Si chacun
applique à soi-même des règles de vie saines et respectueuses de
l’environnement et reste fermé aux sirènes de la consommation,
on sera sur la bonne voie. Les artistes sont des gens comme les
autres, mais dont le discours a une portée plus grande. Ecrire un
texte ou un programme politique sont deux choses différentes.
Personnellement j’ai mes solutions, et je les partage avec qui veut
bien les entendre. Loin de moi l’idée de vouloir imposer quoi que
ce soit, cela ne marche pas.
Ton idée de festival est très bonne,
reste à savoir si elle serait économiquement faisable. Mon
expérience en la matière n’est pas très concluante !
A qui s’adresse cet album et qu’est-ce que tu en attends ? Une
prise de conscience de ton public ?
Cet album s’adresse d’abord à tous ceux qui aiment ma musique,
qui me suivent parfois depuis 20 ans ! Ensuite, j’espère
aussi conquérir le public de Nemo dont une grosse partie ne connaît
pas encore mon travail en solo. Et pour finir, j’aimerais que de
nouvelles personnes découvrent ma musique avec ce nouvel album,
parmi les amateurs de progressif mais pas seulement. Je pense que
chaque amateur de musique rock peut y trouver son compte, pour peu
qu’il se donne la peine d’une première écoute. Concernant les
paroles, je n’attends rien, je pense que mon public est adulte et
sait ce qu’il a à faire.
Aujourd’hui nous sommes tous
confinés, comment abordes-tu cette promotion alors que tu ne peux
faire vivre cet album sur scène, est ce que tu arrives à te
projeter ?
Il y a plus de deux ans que je ne suis pas monté sur scène avec
JPL. J’aimerais proposer "Sapiens" en live, mais j’ai peur qu’il
faille attendre encore un peu… Et en attendant, j’invite tous les
lecteurs de Music Waves à écouter l’album et à l’acheter si
affinités ! En effet on ne peut pas compter sur les plateformes
de streaming pour financer de tels projets !
Merci !