Décidemment, il est bien difficile de prédire de quoi sera fait chaque nouvel album de Jethro Tull en ce milieu des années 70, le groupe semblant s'amuser à alterner concepts ambitieux et disques plus immédiats. Ainsi, après le très travaillé "Minstrel In The Gallery", "Too Old To Rock'n'Roll, Too Young To Die" apparaît d'une simplicité biblique, comme une sorte de frère jumeau de "War Child".
Mais là où "War Child" pêchait par manque d'inspiration, rendant la soupe bien fade, "Too Old To Rock'n'Roll, Too Young To Die" se révèle bien plus intéressant. Si Ian Anderson, unique compositeur comme il en a désormais pris l'habitude, a simplifié son écriture, il délivre là des chansons dont le format standard n'est pas antinomique du plaisir qu'on prend à les écouter.
Certes, pas de quoi s'exclamer au génie devant des titres qui n'ont d'autre prétention que de s'écouter agréablement, mais on se surprend souvent à avoir des fourmis dans les jambes, à battre la mesure en se tapotant sur la cuisse, signes indéniables que le courant passe. La plupart des morceaux sont de bons vieux rocks, comme le nom de l'album pouvait le laisser deviner, sur lesquels les instruments sont plus fusionnels que sur les disques précédents. Cela ne signifie pas pour autant, fort heureusement, que la flûte ne se permet pas quelques superbes envolées dont Ian Anderson garde le secret, ou que Martin Barre ne nous régale d'un petit solo bien vigoureux. Mais les échappées belles d'un instrument sont plus limitées, le groupe se fondant pour s'effacer derrière la mélodie.
Jethro Tull revient le temps de deux titres à ses premières amours, le blues, avec un modèle du genre, le très allant 'Taxi Grab', et la douce complainte 'Bad-Eyed'n'Loveless'. 'The Chequered Flag (Dead Or Alive)' qui clôt l'album donne l'une des rares occasions à David Palmer et à son orchestre de cordes de se mettre en valeur sur un titre qui, s'il utilise des recettes usées jusqu'à la trame, est terriblement efficace. Ian Anderson chante de mieux en mieux. Sa voix si caractéristique peut déplaire par sa sonorité nasale mais il excelle désormais dans tous les registres, capable de dégager une vitalité surprenante comme de se réduire à un souffle. Les intonations ironiques qu'elle empruntait si souvent sur les premiers albums se sont effacées au profit d'une tendresse et d'une émotion communicatives. Leur utilisation plus parcimonieuse les rend d'autant plus appréciables.
Tout comme son ambitieux prédécesseur, "Too Old To Rock'n'Roll, Too Young To Die" ne contient pas de mauvais titre. Tout s'écoute dans une bienheureuse fluidité et même si certains passages donnent l'impression de tourner en boucle, cela ne nuit en rien à l'intérêt de l'album. Ainsi le 'he's too-oo-oo o-oo-old to rock'n'ro-oo-oll and he's too young to die' chanté sur tous les tons jusqu'à plus soif finit par devenir un hymne que l'on reprend en chœur avec délice en espérant qu'il dure le plus longtemps possible. Ian Anderson a toujours réfuté le côté autobiographique de l'histoire. Nous sommes tentés de lui faire confiance car, contrairement à son personnage, il prouve avec ce disque qu'il est loin d'être too old to rock'n'roll.