C'est un Slayer régénéré qui retrouve à l'été 1990 le chemin des studios Hit City West, après le semi-ratage South Of Heaven. Le groupe se sait attendu au tournant après ces tergiversations mélodico-ralenties ; mais pour autant, King et Hanneman ne se résignent pas à restituer le choc frontal de Reign In Blood, et auront l'intelligence de laisser infuser tous leurs travaux précédents dans ce cinquième opus. Seasons In The Abyss repose en effet sur des bases solides, les fondements du style Slayer instaurés depuis leurs débuts, dix ans plus tôt, tout en y incorporant les grooves mid-tempo de l'album précédent. Le résultat : un disque mythique, qui est au fil du temps venu se placer à côté de Reign In Blood sur le trône convoité de "meilleur album de Slayer" ; certains iraient jusqu'à dire "meilleur album de thrash de tous les temps", mais pour éviter à cette chronique de dégénérer en tribune stérile, mieux vaut laisser là de si basses considérations. La musique se suffit à elle-même, et en guise de musique, ce sont 40 minutes d'adrénaline que l'on se prend ici en pleine tête!
"War Ensemble", opener martial et virulent dans la droite lignée de "Angel Of Death", vous colle au fauteuil, et c'est parti. Slayer, immédiat, spontané, primaire et viscéral... Peu de groupes peuvent se targuer d'avoir une telle identité, reconnaissable en un quart de seconde, quel que soit le morceau ou l'album ! Les tubes se succèdent ensuite, du glauquissime "Dead Skin Mask" à l'explosif "Born Of Fire", en passant par les très heavy "Expendable Youth" et "Skeletons Of Society", aux riffs d'une évidence confondante, sans oublier le terrible "Hallowed Point", hallucinant de vitesse et de densité. Le morceau-titre, qui aura droit à son clip (une première pour Slayer), retrouve l'esprit de South Of Heaven et inclut des parties mélodiques, mais cette fois, l'osmose est somptueuse et l'équilibre, technique comme artistique, force le respect.
La production, une nouvelle fois supervisée par Rubin avec Andy Wallace en guise de technicien, marque elle aussi la filiation entre les différents 'styles' de Slayer, superposant le chant net et la batterie clinique de South au son de gratte moite et électrisant de Reign. Cet album est un paradoxe sonore, clinique mais sale, putrescent et éblouissant à la fois. Moderne, et même en avance sur son temps, Slayer négocie le virage des années 90 avec une classe incroyable et se fait pour toujours une place au paradis du métal... La tournée qui suivra sera monumentale et donnera lieu à la sortie d'un live digne du même épithète, Decade Of Aggression qui encore aujourd'hui fera naître un sourire extatique sur le visage de bien des métalleux... Hélas, le départ de Dave Lombardo signalera le début d'une traversée du désert à laquelle le groupe a survécu, non sans y laisser quelques plumes.
Mais ne gâchons pas cet instant de célébration par de si sombres pensées : Seasons In The Abyss est un grand album, devenu culte pour toute une génération de headbangers. Précédé d'une réputation élogieuse qu'il n'a pas usurpée, il constitue une des pièces maîtresses de toute discographie métal qui se respecte. Indispensable !