Après le rouleau-compresseur Reign In Blood, Slayer se trouve pour la première fois de sa carrière confronté à un réel problème d'écriture. En effet, comment faire pour surpasser un tel album ? Bien conscients qu'une redite n'aboutirait à rien, c'est en concertation avec Rick Rubin que les membres du groupe décident de ralentir le tempo, un geste risqué pour les Californiens qui n'avaient eu de succès que grâce à l'agressivité tétanisante de leurs trois premières sorties. Un risque payant... en partie.
En partie seulement, oui, car si la démarche est louable, le résultat l'est déjà un peu moins. Rien de catastrophique, mais l'accueil réservé à l'album fut pour le moins glacial, et il n'est pas rare d'entendre le groupe lui-même reconnaître qu'il ne s'agit pas là de sa meilleure création ; Kerry King notamment, qui traverse alors une période difficile en tant que compositeur. Fraîchement marié et parti vivre en Arizona avec sa dame, il n'a pas la tête à écrire, et c'est donc Jeff qui s'y colle, épinglant la quasi-totalité des morceaux. King apportera toutefois sa patte ici et là, plus particulièrement sur "Mandatory Suicide", un tube destiné à devenir un incontournable de la setlist live de Slayer, mais restera pour la majeure partie des sessions à se bagarrer avec sa guitare dans un coin, écrivant beaucoup mais ne gardant rien ou presque. Privé de l'apport de son alter-ego, Hanneman rame un peu et c'est peut-être là une des raisons qui fait de South Of Heaven un disque à la fois sous-estimé, car incontestablement réussi ("Silent Scream" et sa pulsation diabolique en est une preuve géniale), mais, il faut bien le dire, assez déséquilibré. On se demande par exemple rapidement le pourquoi de pistes comme "Behind The Crooked Cross" ou encore "Spill The Blood". Plus de guitares saturées, un chant clair vraiment étrange, des mélodies mises en avant... C'est toujours Slayer, mais un Slayer en demi-teinte, qui veut trop en faire par peur de la comparaison avec l'album précédent. Et l'auditeur déjà un peu désarçonné de tomber encore un peu plus bas en constatant qu'une des dix pistes est une reprise ! "Dissident Aggressor" a beau être un excellent morceau de Judas Priest, il faut bien remettre les choses dans leur contexte : 3 ou 4 minutes en moins sur un disque d'une demi-heure, ça ne dissimule que maladroitement le manque d'inspiration.
Malgré toutes ces remontrances, force est d'admettre que Slayer n'a pas réellement viré de bord. "Silent Scream", "Ghosts Of War" (suite avouée de "Chemical Warfare") ou encore "Read Between The Lies" sont des tueries, brutales et énervées, qui laissent enfin s'échapper la Bête pour une petite partie d'ultra-violence. Solis débiles et dissonants, riffs frénétiques, martelage en règle de la caisse claire, on retrouve avec un plaisir total les marques de fabrique du groupe. Le plus intéressant est de noter que le travail sur les mélodies se retrouve quand même dans ces morceaux "speed", comme lors du solo de "Ghosts Of War" par exemple. Une recette que Slayer peaufinera sur l'album suivant, mais ceci est une autre histoire...
Tom Araya a un jour qualifié South Of Heaven de réussite tardive, boudée au premier abord, mais qui a fini par trouver son chemin dans le cœur des fans. Dans un rôle transitionnel difficile, surtout aussi tôt dans une carrière, il s'en sort plutôt bien et contient quelques tubes à ne pas ignorer, et montre que Slayer est capable de faire face à la perspective du renouvellement, chose ardue dans un genre codifié comme le thrash. Il sera d'ailleurs consacré par un Disque d'Or en 1992, et son rayonnement sur le monde du métal n'a rien à envier à celui de son génial grand frère de 1986. De nombreux groupes (Vader, Decapitated, Pantera, Children Of Bodom, Korn et même Anathema, entre autres) ont ainsi repris, en studio ou sur scène, des morceaux issus de ce cet album, louant dans la foulée sa portée artistique manifeste dans le paysage extrême de l'époque. Coincé entre deux albums monstrueux, South Of Heaven est, à l'image de Divine Intervention, principalement victime du contexte dans lequel il fut composé. Pas indispensable, excepté pour les fans du groupe, il a toutefois ce je-ne-sais-quoi de singulier qui vous poussera, en dépit de tout, à y revenir de temps en temps... La marque d'un bon album, à défaut d'être un chef-d'œuvre historique.