Music Waves : Parlons de l’actualité du moment, avec ce nouvel album. Une petite explication sur les titres en latin ?
Jean-Pierre Louveton : Comme vous l’avez peut-être compris, il s’agit d’un album conceptuel autour des manipulations, se résumant par une phrase : nous sommes tous entourés par des loups qui voudraient nous manger. Donc “Stipant luporum” signifie “attention aux loups” et “Arma Diana”, “la meute des loups”. Tout simplement.
MW : Album conceptuel, double album - à ma connaissance, c’est le premier double album studio de Nemo ...
Guillaume Fontaine : Oui, puisque le seul album double que nous avons fait, on l’a diffusé dans le temps (SI part. 1 et 2). Ici, c’est parti de la volonté de faire deux albums très différents au niveau des esthétiques : une plus axée sur un prog’ hérité des années 70, assez rock percussif comme tous ces morceaux, “A la Une”, enfin, tout le CD2, et une un peu plus expérimentale ... ça a évolué dans le temps et on a voulu faire ce double.
MW : Globalement les critiques sont positives ...
JPL : Plus que globalement !
MW : Donc, vous prenez ça comment ?
JPL : Très mal ! (rires) Non, nous on compose toujours avec la même envie, on a toujours les mêmes sensations depuis le début : quand on sort un disque, on a l’impression d’avoir donné le meilleur de nous-mêmes, après, on ne peut pas deviner comment ça sera reçu par les gens, par les chroniqueurs, voilà, euh ... ma phrase est trop longue, je me suis perdu dedans !
GF : Oui, c’est ça, on ne peut pas savoir avant que l’album sorte, on espère qu’il marchera bien parce qu’on est toujours convaincus que notre dernier album est le meilleur : c’était le cas pour “R€volu$ion”, c’est le cas pour ce nouveau, on l’a senti plus abouti au niveau de la production ou même au niveau du travail de composition, plus abouti à plein de niveaux, donc on espérait que ça marche ... Après, on est toujours surpris - on s’attend toujours à des critiques négatives, puisqu’on ne peut pas faire l’unanimité, et du coup, là c’est un bonne surprise !
MW : On a entendu pas mal de sons celtiques sur cet album, c’est juste un essai ?
JPL : Oui, j’ai vu que c’était une “nouveauté”, mais en fait nous utilisons ça depuis très longtemps, la première fois je pense que c’était dans notre troisième album, “Prélude à la Ruine”. Il n’y avait pas encore les instruments qu’utilise Guillaume, la geïta par exemple, mais il y en a toujours eu ... ça fait partie de nos influences depuis le début : dans “R€volu$ion”, il y avait déjà de la geïta, dans l’album précédent, “Barbares”, il y avait de la flûte, le morceau ‘Barbares’ était vraiment très celtisant, donc c’est pas vraiment une nouveauté.
MW : C’est quelque chose que vous allez essayer de continuer, d’élargir ?
JPL : On ne calcule pas, c’est sur l’inspiration du moment ...
MW : Et côté percussions, est-ce que vous envisagez d’amener un côté ethnique à côté de la batterie plus classique ?
GF : On en a eu parlé, mais ce n’est pas quelque chose qu’on anticipe, ça vient un peu avec le contexte d’un morceau, son écriture, ce qu’on veut raconter dedans. Moi, je suis un peu un inconditionnel du multi-instrumentisme, j’aime bien découvrir de nouvelles choses, c’est vrai que c’est quelque chose que j’aimerais bien développer ; après, ça dépendra vraiment de ce qu’on écrit, de ce qu’on veut, de ce qu’on projette.
MW : ... Restera la difficulté de traduire ça sur scène, ce qui reste un challenge ...
JPL : En effet ! Et puis nous avons une façon de fonctionner un peu autarcique, c’est à dire que quand on compose, on essaie de se suffire à nous- mêmes. Je me vois mal composer un truc en mettant des instruments qu’on peut pas utiliser nous-mêmes, ça se fera pas naturellement, on pourrait le faire, mais toujours avec cette difficulté : est-ce qu’on va pouvoir le faire sur scène ?
GF : La flûte et la geïta, c’est venu par exemple parce que moi, j’en jouais, j’ai amené ça en répét’, et puis on a essayé deux-trois petites choses, ça nous a plu, et du coup on a écrit des choses en fonction de ça ... Mais tant qu’on n’a pas un set de percus un peu développé, on n’en fera pas, puisqu’a priori on compose avec ce qu’on a sous la main.
JPL : On est encore dans ce type de composition de rock des années 70, qui se trouve beaucoup moins de nos jours, maintenant - dans un groupe, y’a un gars qui amène une compo toute écrite qui est reprise par le groupe. Nous, on créé 90% de notre musique ensemble, sur des idées de chacun, mais elle est créée, montée ensemble ...
MW : Et vous créez plutôt d’abord une base de musique, puis après les textes, ou bien vous partez de la trame du texte, ce que vous voulez mettre en avant ?
JPL : C’est toujours de la même façon, on écrit toujours les textes à la fin.
GF : On décide du canevas, de l’esprit général de l’album avant , mais on écrit les textes à la fin.
MW : Pour revenir sur les compositions, on a l’impression que Guillaume est de plus en plus présent - au début, ce n’était pas le cas - c’était beaucoup du pur JP avec des arrangements ...
JPL : Ça dépend à quand tu retournes ... Avec le premier album, par exemple, moi, j’avais déjà de la musique en réserve, donc le premier album est beaucoup constitué de trucs que j’avais amené, moi, mais encore une fois, certains titres étaient écrits en entier, mais d’autres ont été créés ensemble. Et puis, naturellement au fil du temps ... et il n’y a pas que Guillaume ! C’est vrai que Guillaume a une place plus importante dans la composition que les autres, mais tout le monde amène sa petite patte et pas seulement des idées, mais des arrangements.
GF : Et puis je crois qu’il faut du temps pour comprendre - même si on y est depuis longtemps : Nemo, 2013, ça fait treize ans - il faut le temps de comprendre le fonctionnement : quand je suis rentré là-dedans, j’avais 19-20 ans, et les idées que j’amenais au départ étaient un peu frileuses, et au fur et à mesure que je connaissais le groupe, j’ai amené des idées qui étaient intégrées dans les arrangements, ensuite l’envie se dessine de vouloir écrire un peu plus long, on entend plus le groupe, son potentiel, et du coup, je me suis fait plaisir sur cet album en écrivant un morceau d’un bout à l’autre
JPL : On voulait aussi tenter de nouvelles choses, parce que sinon s’installe une espèce de routine qu’on essaie de casser à chaque fois de peur de se voir se répéter, même si on est obligés de se répéter sans s’en rendre compte. On voulait amener des choses entièrement faites, même parfois contre notre façon habituelle se fonctionner. Un morceau entièrement écrit par Guillaume, ça, on ne l’avait jamais fait, c’est une première sur cet album.
GF : Du coup, ça casse un peu le principe de l’écriture totale et ça permet d’écrire des choses pour certains instruments, qui sont pas naturelles sur l’instant : les parties de batterie du “Fruit de la Peur”, Jean-Baptiste a mis un moment à les intégrer parce que c’est quelque chose qu’il n’aurait pas fait naturellement en répétition, et c’est vachement intéressant. Après il reste toujours cette espèce de patte qui fait que le morceau tel que je l’ai amené et le morceau de studio est le même dans sa trame, mais il a changé beaucoup de par l’arrangement du groupe, c’est vachement important, c’est ça qui fait la couleur.
MW : Vos textes ont un côté assez revendicatif, qui ont des choses à dire ... Est-ce que vous écrirez des chansons plus légères, pourquoi pas des chansons d’amour ?
JPL : On a écrit une chanson d’amour, ‘Le Génie du Mal’ dans “Prélude à la Ruine”, mais il y avait quand même un fond, ça se passait au moment de la guerre ... Mais moi, quand j’écris des textes, pour que j’y croie, il faut vraiment qu’il y ait quelque chose dedans. Je ne me vois pas écrire sur des trucs qui ne me touchent pas, ou qui ne me révoltent pas. Il faut pas du descriptif, que ça serve au moins à me défouler quand j’ai un truc à dire, et si ça peut servir à ce qu’on m’entende ...
GF : Il y a aussi une filiation du prog par rapport à ça, c’est-à-dire, c’est plus facile quand on fait du rock pur d’aller sur des terrains clairs, communs, l’amour, l’alcool ...
MW : Sex, drug & rock’n roll, quoi !
GF : Voilà ! Il y a d’ailleurs de super-chansons sur ces choses-là, plutôt critiques, avec des super-groupes ... C’est vrai que dans les structures, les morceaux plutôt recherchés, c’est difficile d’aller puiser dans des sujets communs.
MW : Dans la mesure où la musique à quelque chose à dire, autant que le texte parle aussi !
GF : Après, qu’on soit bien d’accord, ce n’est pas une critique de la chanson, la musique doit vivre, mais dans le style où nous évoluons, ce serait une petite erreur de rester confinés - là, on verrait tout de suite les critiques arriver : textes légers ...
MW : Plus pour JP maintenant : tu ne composes pas seulement pour Nemo, mais également pour Wolfspring. Qu’est-ce que ça change dans la manière de composer ?
JPL : C’est deux boulots différents. Pour Nemo, je vais rarement jusqu’au bout, parce que j’ai envie de laisser le groupe s’approprier les choses, c’est vraiment important. Moi, je compose beaucoup, et j’aime bien de temps en temps aller jusqu’au bout de la façon que j’entends, à 100%, c’est ça qui change. Mais je préfère quand même la création en groupe.
MW : ... et dans Wolfspring, il n’y a pas de travail de groupe ...
JPL : Voilà, c’est très différent.
GF : Là, c’est choisir des musiciens qui peuvent jouer ta musique, et les réunir dans un studio de répétition pour enregistrer.
JPL : A la limite on demande pas que les musiciens aiment la musique, voilà, c’est écrit comme ça, est-ce que tu veux bien jouer ? En fait, il y a beaucoup moins d’interprétation, un petit peu, mais très peu.
MW : Mais l’enregistrement se fait tous ensemble, ce n’est pas à distance ?
JPL : Eh ben si, dans Wolfspring, par exemple, le chanteur, je ne l‘ai jamais rencontré ! J’ai tout écrit, les paroles, les parties vocales, les mélodies, j’envoie une démo et je demande au chanteur de ré-enregistrer ce que j’ai donné, en y apportant un peu quelque chose, bien sûr.
GF : Et même pour moi, qui ai participé, c’est un travail super-intéressant et complètement différent, je reçois des partitions, et le but du jeu, ce n’est pas d’apporter ma patte personnelle, mais d’interpréter la partition au plus juste : c’est complètement différent.
MW : Et côté live, avec ces morceaux assez complexes, comment faites-vous pour les passer sur scène ? Ça demande beaucoup de travail ?
JPL : Du travail, oui, mais les morceaux ont été écrits comme ça ... Avant de les jouer sur scène, on sait déjà les jouer, il n’y a pas besoin de se réapproprier les choses, on les sait déjà. Le travail, c’est d’être à l’aise dessus. Il y a une différence pour le chant, en studio c’est pas nécessairement en place, je veux dire, j’ai pas nécessairement travaillé le chant sur la guitare, ça c’est des choses qui faut mettre en place pour le live, mais 80% du travail est déjà fait.
GF : Et puis il y a des choses qui sont efficaces en studio et qui ne le sont pas en live, faut laisser mijoter ! Et le travail en répétitions régulières, c’est ce qu’il y a de mieux pour ça ; après il y a juste à peaufiner. Ce qui est plus dur, c’est d’enchaîner quatre concerts - et merci de nous donner la possibilité de jouer ! Là, on a joué hier soir, bon , on n’a pas dormi, mais du coup on sait que ce soir ce sera mieux qu’hier, on sera plus à l’aise.
MW : En live, l’expérience avec David [Zmyslowski, NDLR]... s’il est venu, c’est qu’il y avait un besoin, non ?
JPL : Quand il est venu, c’est que moi j’avais vraiment besoin de me relâcher, de me concentrer sur le chant - Je suis pas chanteur au départ, c’est quelque chose que j’apprends au fil du temps : je me suis aperçu que quand je jouais de la guitare, le chant était moins bien qu’il aurait pu l’être, donc j’avais envie de tester ça. Et puis scéniquement, ça me permettait de bouger les bras, chose que je ne pourrai pas faire ce soir par exemple !
GF : ... et puis de mettre en valeur des parties de studio aussi ...
JPL : Oui, c’est vrai qu’en studio j’enregistre souvent plus de guitare que je peux en faire en live. Voilà pourquoi on a essayé. Après, pourquoi il a arrêté, il y a plusieurs raisons. La première, c’est qu’il avait moins le temps, et puis il avait une place d’accompagnateur, et David c’est quelqu’un de créatif, un meneur d’hommes un peu aussi, comme je peux l’être en musique, et dans un groupe, être meneur d’hommes et ne pas pouvoir driver, c’est compliqué. Et puis Nemo, c’est un groupe dans lequel il est très dur de rentrer, qui existe depuis longtemps ...
GF : Pour moi, ça a été une belle période, un bon moment pour moi, mais ça m’a forcément freiné dans le groupe au niveau musical, sans parler d’égo, puisqu’il n’y en a pas . Par contre, depuis, c’est vrai que j’ai plus de place, plus de possibilités au niveau des claviers, forcément : avec un guitare en plus, on réduit, automatiquement. Mais c’était intéressant aussi. Mais on préfère travailler à quatre.
JPL : Oui, on s’est aperçu que Nemo, en fait c’était quatre personnes, et qu’on continuera sans doute tout le temps comme ça. Je bougerai moins les bras sur scène ! (rires)
GF : C’est bien que les live soient pas une version copier-coller des versions studio.
MW : Ce n’est d’ailleurs pas ce qu’attendent les spectateurs ...
GF : Oui, y’a rien de pire qu’un concert où j’entends à la note près, y’a pas de surprise. Le défi de la scène, c’est de faire vivre les morceaux. Le studio, c’est là pour graver le morceau dans l’histoire, dans la notre, dans celles des autres, on espère ...
MW : Et est-ce que vous avec une part d’improvisation, une part de liberté ?
JPL : Pas dans la structure, sinon ça serait un peu casse-gueule, mais il peut y avoir des passages dans un morceau qui se prêtent à ça. Moi, sur l’interprétation des morceaux à la guitare, je me prends pas toujours la tête à essayer de retranscrire les solos, parce que je suis moins bon à faire ça que ... enfin, je m’envoie pas des fleurs, mais je préfère improviser.
GF : Je le faisais à une époque, je repiquais mes solos, et puis maintenant, ça me gonfle, j’ai plus envie de refaire la même chose. Bon, c’est certainement des fois moins bon, puis des fois c’est mieux, c’est la magie du direct !
JPL : Pour certains solos, c’est l’inverse, je préfère faire texto : par exemple, ‘Seul dans la Foule’, je peux pas le changer, ça risque d’être moins bon, dans les solos mélodiques, qui chantent, là, je me permettrai pas de ... c’est peut-être plus facile sur les solos rapides, enfin, tu peux toujours remplacer certains trucs par d’autres si ça reste dans la même ambiance. Mais c’est vrai, pour certains gars qui ont envie d’écouter le solo d’origine ... enfin, l’impro, de façon plus globale, c’est très très peu, voire pas ... les structures de prog le permettent moins que le jazz par exemple.
MW : Que pensez-vous de l’intitative de nos deux Pete - créer une association pour créer un nouveau festival ?
JPL : Intéressant et courageux ! Et puis ça prouve qu’en France on peut monter une belle affiche ! Il manque souvent les bonnes volontés, qui veuillent bien franchir le cap de la prise de risque - c’est très dur de retomber financièrement sur ses pattes en faisant ce genre de concert parce que tout coûte cher, même en faisant des efforts de tous les côtés, alors qu’un concert comme ça, ça doit être un exemple. L’affiche Lazuli-Nemo, on l’a déjà faite en Allemagne, ça marche !
MW : Ce qui souligne l’intérêt de la rencontre entre les différents groupes français ...
JPL : Oui, c’est génial, ça créée des liens. Nous ne connaissons ni Weend’ô ni les Morganatics, mais ça va être l’occasion de discuter !
MW : Vos coups de cœur musicaux en ce moment ?
GF : Notre dernier album en commun à tous les deux, c’est peut-être le dernier Steven Wilson, qui est un chef-d’œuvre ...
JPL : Oui, une belle réussite ! J’ai aussi adoré l’album de Simon Collins [NDLR : “Dimensionaut” de Sound of Contact]. Je suis un inconditionnel de Genesis période Collins [s’ensuit inévitablement un débat entre membres de MW sur les différentes périodes Genesis], et on retrouve dans cet album, sans qu’il ait copié quoique ce soit, cette atmosphère-là ; la netteté des mélodies , les arrangements, et puis un petit côté progressif qu’il n’y avait pas forcément dans les Genesis de la fin , bref je le trouve très réussi !
GF : Moi, mon coup de cœur il est sur quelque chose qui est un peu en-dehors du progressif, un groupe que j’ai découvert il y a peu de temps, Sigur Ros, que j’ai vu au festival des Nuits de Fourvière, un rare moment de concert, vocalement, professionnellement et dans la fraicheur de la scène, une belle découverte. On n’a pas les caractéristiques du rock au point de vue rythme, mais par contre en termes de son et de puissance, on arrive vraiment au-dessus, c’est vraiment surprenant. Il y a une recherche esthétique qui est super-intéressante, j’ai beaucoup aimé.
MW : il nous reste à vous remercier en attendant le concert de ce soir ! Merci à vous !
JPL et GF : Merci et à plus tard !