Quelle est la question qu'on t'a le plus posée ?
Mark "Barney" Greenway : "Quelles sont tes influences ?"… et il y en a plein d'autres, tu sais. Mais c'est pas un problème : c'est juste inévitable quand tu fais des tonnes d'interviews le même jour. On te pose toujours les mêmes questions !
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Peux-tu nous expliquer le concept du nouvel album ?
Bien sûr ! Une explication simple pour les lecteurs… ou les auditeurs : le concept, c'est l'idée que toute action provoque de bonnes conséquences. Cela s'accumule, et au fil du temps, ça irradie, et en théorie le monde devient meilleur. J'essaie d'appliquer ce concept pour moi-même et pour les autres. Toujours penser que mes actions pourraient avoir des conséquences négatives sur quelqu'un d'autre, de bien des manières : je suis sûr qu'on peut éviter ça. En d'autres mots, toujours essayer de prendre des décisions avec une certaine éthique. C'est ça, le rapport avec "Utilitarian". Je ne suis pas un philosophe, mais si je regarde ce que les autres font ou désirent, ce que je fais en tant qu'être humain et ce que les autres font, quelle différence cela fait-il ? Et partir de ce point, de cette base éthique, ça fait une grosse différence. Sinon, c'est inutile ou alors c'est intéressé. Et parfois, tu ne vois aucune différence, et tu deviens déprimé, démoralisé, et tu penses : "Est-ce que je continue ? Est-ce que ça fait une différence ?". Mais en fait, la réponse est que tu dois continuer, parce que c'est une forme de protestation, et si tu abandonnes, ça laisse un trou, un vide. Une voix, c'est une voix ! Et un ensemble de voix, c'est un ensemble de voix ! Et c'est ça qui fera bouger les choses.
Tout à fait d'accord ! Mais penses-tu que ce genre de révolte soit réellement possible ? Tu penses que les gens sont prêts à sacrifier leur propre personne ?
Ça ne peut venir que d'un profond changement de l'ensemble de l'espèce humaine. Tu sais, je ne suis pas naïf au point de croire que je vais tout seul faire bouger les choses en criant, en hurlant. Ca ne se fera pas en une nuit ! Mais il faut bien commencer !
Cette attitude n'est-elle pas à l'opposé de la crise qui nous touche ?
Tu veux parler de la crise financière ? Mais ce n'est pas la seule crise : c'est un facteur, mais pas le seul. Comment les nations vont-elles solutionner la crise, c'est un premier point : devenir isolationnistes ? Comment cela peut-il résoudre le problème ? Ce n'est en aucun cas la solution. C'est inapproprié. Résoudre un problème bancaire mondial ou la corruption de cette façon, tout ça a tellement de ramifications ! La solution ne peut en définitive être qu'humaine. Avoir une identité nationale, oui, mais dans quel but ? Il faut répondre à cette question.
Et dans cet univers, considères-tu que Napalm Death est un porte-parole ? Ou une sorte de parti politique ?
Nous sommes un véhicule, si tu veux, pour, à notre humble niveau, renforcer l'humanité. Sommes-nous un véhicule politique ? Ça peut faire débat : la perception des politiques, l'indulgence des politiques par rapport aux systèmes de pouvoir, est-ce que tout ça fait une différence ? Est-ce qu'ils vont influer sur un monde qui se développe de plus en plus, et qui éloigne chaque jour ceux qui disposent de ressources de ceux qui n'ont rien ? Est-ce que les politiques vont améliorer ça ? Non !
Alors, comment s'en sortir ? Quelle solution ? On parle beaucoup d'humanitaire tous ces temps-ci, mais la solution est hautement politique. Et l'action politique n'a rien avoir avec ce dont je parle. Nous sommes un véhicule humanitaire dans ce monde. Je parle de redécouvrir ce qu'est un être humain. Et ça suppose de comprendre ce que nous sommes. Quand je pense à ce que certains hommes sont capables de faire à d'autres, c'est innommable. Juste pour obtenir un petit avantage. Pour moi, ça paraît juste fou, la manière dont les choses se passent.
Oui, tu me vois juste comme un membre de Napalm. Ok, Napalm est un groupe d'extrême, mais il faut se souvenir que si tu mets de côté le groupe, je suis la même personne, compatissante et réaliste, et j'essaie de regarder les grands problèmes. Quand Napalm n'existera plus, je ne pense pas faire encore de la musique. Napalm, c'est juste un groupe pionner ! Que faire après ça ?
Mais je ne base pas ma conduite sur Napalm. J'apprécie que les gens aiment autant le groupe, mais ça ne veut pas dire que nous pouvons faire n'importe quoi. Ca ne marche pas comme ça. Et malheureusement il y a des groupes qui croient ça, et qui en ont pleuré toutes les larmes de leur corps. Ils ont perdu de vue ce qui faisait leur succès, et ils sont devenus tout à fait mauvais, parfois en très peu de temps. J'essaie toujours de garder les pieds sur terre.
Revenons à la musique : penses-tu qu'il y a une évolution dans la musique de Napalm Death : la touche de saxophone de John Zorn qui donne une tonalité atmosphérique soul, par exemple. Quelles sont tes intentions en ce domaine ?
On a fait plein d'analyses de l'album, mais tu sais, ce n'est pas si compliqué que ça ! Les albums de Napalm ont un coté un peu accidentel ! Bien sûr, nous les construisons comme tout album, mais nous n'y réfléchissons pas plus que ça. S'il y a évolution, elle se fait naturellement. C'est chaotique ! Il y a des éléments alternatifs mais les gens ne les remarquent pas toujours. Nous savons qu'il y en a et qui trouvent leur influence dans des groupes comme Joy Division… Tout ce matériel a une influence sur le son Napalm Death, et vocalement, nous venons de là, c'est sûr. Donc il y a des évolutions, et ça participe à la dimension de Napalm. Et nous faisons les choses vite, et nous plaçons ces influences surtout dans les parties plus lentes, et maintenant aussi dans les parties rapides.
Toujours concernant l'évolution musicale, les refrains clairs et graves de "Fall On Their Swords" et "Blank Look About Face" sonnent comme un hurlement pour la liberté contre le système et les politiciens prêts à tout pour garder leurs privilèges.
Ce titre, c'est à propos de comment peut-on avoir confiance dans un politicien qui te raconte une chose pour arriver au pouvoir, et qui fait complètement autre chose ensuite. En plus, il faut se rappeler que les politiciens font écrire leurs discours par 4 ou 5 types. Ils n'écrivent même pas leurs laïus ! Alors, qu'est-ce qu'ils racontent ?
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Quand tu commences l'écriture d'un disque, est-ce que tu te dis que tout a été fait dans ce genre ?
Non, jamais ! Les possibilités sont infinies ! Quand j'ai rejoint le groupe en 1989, la scène extrême était très réduite. Il y avait très peu de groupes. Le genre n'est limité que par les groupes qui lui appartiennent. Et ce n'est pas à Napalm Death de fixer les limites pour les autres. Nous faisons ce que nous faisons, et ce n'est pas à moi de dire ce que les autres groupes doivent faire, même si j'espère qu'ils exploreront le genre sous d'autres perspectives.
Tu joues depuis 20 ans ...
... (Il coupe) Plus de 20 ans !
... Penses-tu que le groupe a encore la passion ?
Sans ça, je ne serais pas en train de discuter avec toi ! Je ne pourrais pas faire les choses autrement !
Tu vieillis...
… et ça ne me pose aucun problème ! Et je vais te dire: je suis réaliste, j'ai 43 ans - enfin, bientôt 43 - et j'ai toujours l'endurance nécessaire. Je suis même plus en forme maintenant qu'à 20 ans. Maintenant, côté motivation, ça commence à faire un bon bout de chemin, et Napalm ne m'apparaît plus aussi excitant pour plein de raisons. Nous n'avons plus d'idées, nous ne voulons plus courir sur les routes dans les mêmes conditions, parce que faire la route, c'est parfois se sentir seul. Mais si je ne me sentais plus passionné, si j'en étais à ce point, pour ma part, je ne le ferais plus. Je n'en aurais plus envie, tu vois. Faire semblant, comme j'ai vu certains groupes faire, non, c'est pas pour moi !
Justement Napalm Death existe depuis 1982, comment expliques-tu cette longévité alors que d'autres groupes comme Cathedral arrêtent ?
Lee (NdStruck : Lee Dorrian) a été honnête là-dessus. Cathedral est mort ? C'est mieux pour lui. Le bon côté des choses, si j'ai bien compris – et je peux me tromper - c'est que les autres gars étaient comme lui, ils ne voulaient pas continuer. S'il y a un consensus général, c'est le moment d'arrêter. Parce que quoique tu fasses, même si tu dis : "Essayons encore !", c'est impossible, et tu le sais pertinemment.
Ca ne sonnerait plus pareil...
Non ! Ca reste toujours dans ta tête : "Est-ce que j'ai pris la bonne décision ?".
Dans le groupe, il y a toi, Mitch, Shane, Danny … comment évolue votre relation ?
Pas la peine de vouloir édulcorer tout ça : ça peut être difficile, très difficile même, comme dans toute relation humaine ! Nous sommes très différents. Nos avis convergent pour la majeure partie, mais dans d'autres domaines, ça peut être très délicat. Parce que la philosophie du groupe fait qu'il peut être difficile d'arriver au consensus. Mais bien sûr, nous ne serions pas arrivés là sans une certaine camaraderie et une certaine compréhension de ce qu'est Napalm. Dans un groupe indépendant avec un esprit d'indépendance, nous avons besoin de préserver cela. C'est très important, et je suis heureux d'avoir ces mecs dans le groupe. J'ai rencontré des types avec lesquels je n'aurais pas pu travailler.
Quel titre choisirais-tu pour incarner Napalm, et pourquoi ?
Un titre… Ah, c'est difficile ! Un titre qui caractériserait Napalm ? C'est impossible ! Il y a tellement de trucs. Il y a bien quelques titres qui émergent, mais là… impossible, désolé !
Qu'est-ce que tu penses des premiers albums de Napalm Death avec le recul ?
Mon premier enregistrement ou le premier enregistrement du groupe ? Bon, parlons des deux. "Scum", c'est fondateur. Je me souviens avoir vu Napalm à Birmingham, il y a longtemps, dans les tout, tout premiers temps. J'ai tout de suite ressenti que c'était un groupe très spécial.
Et tu penses avoir respecté cet héritage ?
Ce n'est pas à moi de le dire, ce serait prétentieux de ma part ! Je fais juste un commentaire sur les débuts. Mais j'ai pour "Harmony Corruption", qui est mon premier album, une vraie tendresse, parce que c'était ma première participation avec le groupe. Ça rappelle tout un tas de bons souvenirs. La seule chose, et je l'ai souvent dit, c'est que je n'aime pas la production.
Et tu penses le refaire avec de nouveaux moyens ?
Non ! Je sais que certains groupes le font, mais je préfère le laisser en l'état. Il est ce qu'il est !
Qu'est-ce que tu voulais faire quand tu étais enfant ?
Si je me souviens bien, je voulais travailler avec les animaux, être zoologiste. Plus tard, j'ai voulu être biologiste spécialisé sur l'évolution, l'origine des espèces, Charles Darwin. Je trouve que la façon dont nous sommes apparus, c'est juste incroyable. Si jamais tu vas à Londres, visite le British Museum !
Question football : comment peux-tu supporter une équipe avec des salaires si élevés ?
Je suis d'accord ! Mais c'est le club local : Aston Villa. Alors je suis supporter ! Mais c'est vrai, les prix se sont tellement envolés, les gens parlent… De toutes façons, je ne donnerai plus d'argent. En une saison, les joueurs peuvent gagner 25 millions de livres ! (NdStruck : plus de 30 M€)
Quel est ton meilleur souvenir en tant que musicien ?
Il y en a pas mal, mais celui qui me vient, c'est en Union Soviétique : ça m'a sacrément ouvert les yeux ! C'était vraiment incroyable, le positif comme le négatif : un autre monde !
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Quelle est la question que tu aimerais que les lecteurs de MusicWaves te posent ?
Oh merde (Rires) ! Euh… comment faire la véganonnaise ? C'est de la mayonnaise sans les œufs. Je ne connais pas la réponse, mais j'aimerais bien que tu me poses la question !
Mais nous n'avons plus le temps ! Mais aurais-tu un dernier mot en français pour nos lecteurs ?
Nom de Guerre c'est le poème de l'album !
Merci
Merci à toi !
Remerciements à Valérie pour avoir rendu possible cette rencontre, Noise pour ses questions et l'inestimable Abaddon qui a rendu possible la lecture de cette interview.
Plus d'informations sur http://www.napalmdeath.org