Cher Clem,
Lorsque j'ai vu l'une de tes anciennes photos postée par ton compère Chris Stein, je me suis demandé ce que tu pouvais bien penser en t'affichant ainsi les bras croisés, ta coiffure de corbeau bleu du New Jersey et le regard grave malgré un petit soupçon de sourire que tu n'essayais pas de réprimer. Et puis une bien triste et vicieuse nouvelle m'a sauté au visage. En lisant la légende, il ne s'agissait pas de mettre en avant ta présence drapée dans un manteau de cuir de bad boy mais plutôt hélas d'évoquer la disparition d'un autre type de légende. Estomaqué je fus et je pense que George Foreman a dû moins sentir sa douleur que moi lorsqu'il s'est battu dans la jungle avec Mohamed Ali. Knock-out, abandon du round faute de combattants.
Clement Anthony Bozewski, quelle tristesse, tu as composté prématurément ton billet pour le terminus du Grand Sommeil.
Blondie (le groupe, c'est un groupe pas une nana en solo !) avait annoncé l'enregistrement d'un nouvel album par monts et par vaux, les fans étaient au septième ciel mais toi tu es finalement monté directement au huitième ou au neuvième (si les travaux sont finis là-haut). Ton départ signerait-il la fin de Blondie ? Blondie s'est toujours remis en selle après d'autres déboires (quand ce pauvre Chris est brutalement tombé malade pendant la tournée de "The Hunter" et aurait pu avaler son chapeau) mais jamais la formation américaine n'avait connu une telle déflagration...
La première fois que je t'ai rencontré, tu étais concentré sur ton instrument, le regard fixe comme si tu voulais happer d'un coup de mâchoires l'horizon vertigineux (tu aurais pu devenir un bon sprinteur cycliste les yeux rivés sur la ligne d'arrivée). Tu me donnais l'impression d'un grand cousin, imposant, un peu magouilleur, un peu brusque mais le cœur sur la main. Alors que tes petits copains se livraient à des pogos endiablés sur scène, tu restais bien assis sur ton siège mais c'était trompeur car l'énergie avec laquelle tu te dépensais était encore plus phénoménale (ah cette intro de 'Dreaming', du pur Clem). Quel dommage que les batteurs soient relégués à l’arrière de la scène.
Car nous avons été émus, mon cher, par ta présence. C'est toi qui avec Jimmy Destri soutenais la ligne de chant de Deborah dans les chœurs. J'avais d'ailleurs bien aimé tes “No, No” nerveux sur 'I Don't Have The Nerve To Say No'. Et cet humour facétieux et flegmatique que tu affichais parfois dans les moments les moins détendus. Dans le film "Roadie" d'Alan Rudolph, tu vampirisais l'écran en mec baraqué et dur adepte de crachats, le parangon du punk bête et méchant (un rôle de composition, bien entendu). Une autre fois dans un studio, “Je ne voudrais pas vous déranger”, avais-tu dit à tes compagnons en pâmoison devant l'équipement d'un studio '“mais c'est normal que ce moniteur soit enflammé ?” Les studios ont été un terrain de jeu pour toi mais ont parfois été témoins de véritables calvaires. Comme lorsque tu as sué sang et eau en suivant le jeu robotique d'une Roland Rythm Machine programmée sur le non moins célèbre "Heart Of Glass". On ne t'y reprendrait plus et après l'enregistrement fastidieux, tu avais juré au grand jamais de ne jamais jouer ce morceau sur scène.
Tu as parfois mis ton
cœur à nu. En pleine promo à Londres, voilà que débarque dans la rue de manière impromptues l'une de tes idoles. Hardi grand, tu l'as poursuivi en piquant un 100 mètres qui aurait étourdi Noah Lyles. La suite est un peu plus nébuleuse, cela donnait un dialogue un peu dans ce genre-ci (avec quelques exagérations pour la circonstance) :
Clem - Monsieur Popaul McCa McCartney. C'est vraiment VOUS ?
Paul McCartney - Oui parfois, je me pose également cette question et je n'ai pas toujours la réponse.
Clem - Vous êtes l'une de mes idoles, vous m'inspirez tant...
Paul McCartney (regardant les autres membres aux cotés de Clem) - Vous êtes un groupe de musique ?
Clem - Oui oui oui.
Paul McCartney - Je vois cela à votre bus (montrant Frank Infante) - Toi, tu dois être le batteur !
Clem - Non, non non, m'sieur. Moi je suis le batteur. Lui c'est le guitariste.
Paul McCartney (pensif) - Moi aussi avant les Beatles, j'étais guitariste.
Il me vient également à la mémoire le clip de "Rapture", dans lequel, outre ta barbe inédite, tu nous montrais ton aisance naturelle en faisant quelques pas de danse. Et lors de la sortie du groupe de cette boîte de nuit un peu spéciale (oui, il y avait bien une chèvre et elle s'appelait Mona), tu nous lançais un regard caméra, le pouce levé. Depuis ce jour, lorsque je lève le pouce, c'est toujours ta trogne qui vient se présenter à mon esprit.
Comme disait Daniel Bevilacqua "Et tant pis si j'en oublie". J'aurais pu parler de mes morceaux préférés de
Blondie sur lesquels tu étais le plus souvent irréprochable (je vous ai parlé de 'War Child' - non, pas l'album de
Jethro Tull !), de tes aventures avec les Romantics et Eurythmics, mais ce serait douloureux pour tout le monde. Clem, tu étais vraiment l'un de mes cinq batteurs new wave (il faut bien
trouver une appellation) de prédilection (non il n'y a pas de batteur
de
Depeche Mode dans cette liste, on y retrouve entre autres un Canadien, le frère inconnu du chanteur et un exilé en Australie). Nous ne vieillirons plus ensemble... Au moins, tu as fait tienne ce credo blondien: “Die young, stay pretty”.
So long Clem et merci pour ta contribution au rock.