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TITRE:

STEVEN WILSON (11 FEVRIER 2025)


TYPE:
INTERVIEWS
GENRE:

ROCK PROGRESSIF



Un an ½ à peine après "The Harmony Codex", Steven Wilson revient déjà avec son huitième album solo "The Overview" et nous offre une magnifique vue d'ensemble...
STRUCK - 07.03.2025 -
9 photo(s) - (1) commentaire(s)

Outre le fait que l'oeuvre de Steven Wilson a toujours comporté une réflexion profonde en filigranne, au risque de décevoir certains de ses fans, chaque album du prolifique artiste britannique a toujours eu le mérite d'éviter la répétition. C'est donc logiquement que ce nouvel album -composé de seulement deux morceaux- loin des standards de l'industrie musicale actuelle marque un nouveau tournant dans la carrière du leader de Porcupine Tree...


Le plus important pour moi à chaque fois que je fais un nouvel album est de me poser la question pourquoi je fais cet album





Nous savons que tu ne sors jamais un album par hasard. Hormis le concept philosophique de l’album (la place de l’homme dans l’univers), quel était ton état d’esprit au moment de composer l’album ?

Steven Wilson : Le plus important pour moi à chaque fois que je fais un nouvel album est de me poser la question pourquoi je fais cet album. Qu'est-ce que je vais faire de différent avec cet album que je n’aurais pas fait avant ? Quel est l’intérêt de faire plus ou moins la même chose ? Finalement, j’ai toujours besoin de quelque chose qui m'excite et qui exciterait l’auditeur ou du moins à défaut de l’exciter, le surprendre...
Après mon dernier album, je ne savais pas ce que j’allais faire. Et j'ai pensé que ce serait peut-être un défi de faire une collaboration avec quelqu’un -un cinéaste- pour créer de la musique pour une exposition ou quelque chose de ce genre. Une des personnes avec qui j’ai échangé sur le sujet était un très bon ami à moi -Alexander Mila- qui dirige une organisation appelée Space Rocks. Space Rocks est une organisation dédiée à rassembler le monde de l'astronomie et de la science avec des musiciens et la créativité, ce qui est un concept très intéressant parce qu'il y a beaucoup d'intérêt pour les deux aspects.
Pendant nos conversations, il m'a demandé si j’avais entendu parler de l’effet de vue d’ensemble (NdStruck : The Overview effect). Comme je n’en avais jamais entendu parler, il a commencé à expliquer ce qu'était cet effet. C'est un phénomène reconnaissable, expérimenté par les astronautes : la première fois qu'ils vont dans l'espace et qu'ils regardent la Terre, ils ont un moment profond de compréhension qui peut être aussi bien négatif que positif, ou un mélange de ces deux sentiments. J'ai été immédiatement fasciné par cette idée. J’imagine quel moment incroyable ça pouvait être. Et tout de suite, j'ai pensé qu’il y avait un album à faire.


Comme tu l’as évoqué, "The Overview" s’inspire du concept de l’effet de vue d’ensemble, une expérience cognitive vécue par les astronautes lorsqu’ils observent la Terre depuis l’espace. Tu as maintenant 57 ans. Considères-tu que cette prise de recul sur la place de l’Homme dans l’univers reflète une forme de sagesse qui vient avec l’âge ou une forme de désabusement sur le fait que l’Homme ne changera jamais ?

Je ne pense pas que ça a à voir avec l'âge parce que la majorité des personnes les plus dangereuses de notre planète sont des années 1970. "Perspective" était un titre alternatif pour cet album pour rappeler aux gens que notre place dans l’espace et le temps est minuscule…


La Terre n’a pas d’importance, notre vie n’a pas d’importance et c'est une belle chose que d’accepter cette idée




… Nous ne sommes rien !


… Tout à fait et je ne considère pas que ce soit négatif de le rappeler, au contraire, j’estime que c’est quelque chose de très positif. Du point de vue de l’univers, notre vie n’a pas d’importance. Nous vivons sur une planète qui est une des planètes parmi des milliards d’autres dans une galaxie et cette galaxie est une des galaxies parmi des milliards d’autres. La Terre n’a pas d’importance, notre vie n’a pas d’importance et c'est une belle chose que d’accepter cette idée et profiter de la balade…


L’idée que nous serions les curateurs, les soignants notamment de la planète est absurde



As-tu toujours accepté cette idée ?

J’ai l’impression que ça a toujours été le cas. Je veux me rappeler cette idée et j'ai passé beaucoup de temps -comme nous tous- à penser à tout cela. Mais je ne passe pas assez de temps à regarder autour de moi et me rappeler que la vie est quelque chose de bizarre qui a été créée par le cosmos qui nous a donné ce cadeau de la vie. Ma vie est un instant, au niveau du univers, ma vie est un instant… A l’échelle de la Terre qui existe depuis plus de quatre millions d’années, les êtres humains sont sur Terre depuis les cinq dernières minutes et la Terre continuera de longues années après notre disparition… L’idée que nous serions les curateurs, les soignants notamment de la planète est absurde. Nous partageons la planète avec beaucoup d'autres espèces et nous ne les traitons pas très bien…


Tu dis que nous partageons...

Oui, c’est vrai, nous ne partageons pas !


L’Intelligence Artificielle [...] est probablement la plus grande menace que notre Humanité ait jamais rencontrée


Et même entre nous, des personnes avec énormément d’argent ont le pouvoir de changer notre humanité et malheureusement de façon négative…

Mais ça a toujours été le cas, non ? C'est amusant parce qu’actuellement à Paris, se tient une conférence sur l’Intelligence Artificielle qui est probablement la plus grande menace que notre Humanité ait jamais rencontrée. Il y a toutes ces questions et pour moi, cet album est juste pour rappeler aux gens que notre place dans l'univers est fragile et insignifiante… et c'est magnifique. La vie est une chose magnifique mais il faut le rappeler aux gens pour avoir une certaine perspective…


La vie est une chose magnifique mais il faut le rappeler aux gens pour avoir une certaine perspective…




Mais malheureusement, il faudrait le rappeler aux personnes qui dirigent notre Humanité…


Mais je pense que ces personnes sont perdues. Ce sont des causes perdues ! Les gens dont tu parles sont au-delà de la raison. On ne va pas citer de nom mais tout le monde comprendra de qui on parle, leur narcissisme est tellement profondément ancré qu'il est impossible de les raisonner.


Mais, d'une certaine manière, nous sommes tous narcissiques. Le nom de Steven Wilson est connu par beaucoup de personnes et à cet égard, tu as un certain ego…

Complétement !


… Mais ton état d’esprit n’est pas le même que ces personnes. Quand penses-tu que ces personnes vrillent ?


Je ne sais pas. Certaines de ces personnes sont sociopathes et n'ont aucune empathie pour les autres. Je parle d’une manière générale des êtres humains mais je pense que la plupart des gens sont plutôt bons : ils veulent faire le bien. Et c'est important parfois de leur rappeler certaines choses : par exemple, je suis vegan, je ne tente pas de prêcher mais je parle un peu de ça.
Mais je crois que tu as absolument raison. Nous sommes tous autocentrés parce que nous sommes devenus si addict et habitués à voir le monde dans nos dispositifs numériques et de se voir nous-mêmes reflétés dans ces dispositifs numériques en vérifiant combien de likes ont nos vidéos, combien de followers nous avons… C'est tellement stupide et c’est le pire aspect de la psychologie humaine. Dans ces conditions, présenter un album comme "The Overview" est ma façon d’essayer de… Par exemple, l’album commence avec une scène où un extra-terrestre demande au terrien que je suis, ou à l’auditeur, si on se souvient de lui et si on a oublié de regarder autour de nous… Il nous demande si on n’a pas oublié tout ça au profit de ce petit micro-monde qu’on a créé uniquement pour nous…
Mais finalement qui suis-je ? Je ne suis pas dans une position d'influence, mais je peux mettre en avant toutes ces choses et faire réfléchir à tout ça à ceux qui écoutent ma musique…


J’ai 57 ans aujourd’hui et à l’évidence, je ne serai jamais une pop star




Une très belle façon de penser. A l’époque de "To The Bone", tu semblais souffrir d’un manque de reconnaissance et l’album, qui était très abordable, avait l’ambition de pallier ce manque. En 2025, tu arrives avec un album de seulement deux titres d’environ 20 minutes qui ne correspond en rien aux critères actuels de consommation de la musique. As-tu définitivement fait le deuil de ton manque de reconnaissance par le grand public ?


Il est probable que oui. Comme tu dis, j’ai 57 ans aujourd’hui et à l’évidence, je ne serai jamais une pop star. Mais je n’ai jamais voulu être une pop star. Ce que j'ai toujours voulu, c'est que la musique soit disponible pour tous ceux qui l’aiment.
C'est un combat que je dois mener perpétuellement : comment faire pour que ma musique -qui est assez accessible et assez facile à aimer- soit aimée par le public ? C’est ce que je fais à chaque fois pour la promotion d’un album et notamment maintenant : je cherche à accroître mon public avec ma nouvelle musique.
Le problème que j'ai eu durant ma carrière est que ma carrière a évolué dans un sens alors que la tendance de l’industrie musicale a évolué dans l’autre… La tendance de l'industrie musicale se dirige de plus en plus vers de la pop mainstream qui demande peu d’attention et c’est ce qu’on peut constater au travers des réseaux sociaux comme TikTok à savoir une musique consommée en 15 secondes ! Et moi de mon côté, je propose un album de 42 minutes et je m’attends à ce que vous l’écoutiez. C’est vraiment le cœur du problème et je n'ai pas vraiment de réponse mais je vais partager avec toi cette question : pourquoi tous les jours de l’année, des milliers de personnes vont au cinéma, s’assoient pour regarder un film de 2 heures et ne peuvent pas le faire avec la musique ?


Pourquoi ? Parce que la majorité des personnes ne conçoit pas la musique comme un voyage. J’écoute généralement dans le noir et les yeux fermés et je me fais ma propre histoire…

… C’est également mon cas !


L’industrie du disque a fait de son mieux pour qu’on oublie cette façon de consommer la musique au profit de la culture de la playlist


Mais les gens ne le font pas…

Et c’est ma question : pourquoi le font-ils au cinéma et pas pour la musique ? L’industrie du disque a fait de son mieux pour qu’on oublie cette façon de consommer la musique au profit de la culture de la playlist


… ou également tout simplement par les gens sont fainéants et se laissent aller dans un film où ils n’ont pas à penser contrairement à l’écoute d’un album dans son intégralité où il faut faire preuve de créativité en s’imaginant sa propre histoire ?

Il doit y avoir de cela également. Tu as peut-être raison… mais inversement, il y a des films qui demandent beaucoup à leur public : par exemple, les films de Christopher Nolan demandent beaucoup… Des millions de gens sont allés voir "Oppenheimer" -un film très cérébral de trois heures- qui demande beaucoup, dans ces conditions, pourquoi ces mêmes personnes ne pourraient pas écouter un album ?


Certains pourront trouver le format de "The Overview" audacieux, mais tu avais déjà choisi ce même format pour l’album de No Man "Love You To Bits". Est-ce ta manière à toi de résister au fait que "One of the wonders of the world is going down" paroles extraites de ‘The Sound Of Muzak’ de Porcupine Tree ?

En partie. Une des choses dont je parle beaucoup -quand je parle de cet album et de ma carrière- est cette notion de musique alternative qui a toujours existé. Quand j'ai découvert la musique dans les années 1980, la musique alternative était The Cure, Cocteau Twins et The Smiths et j'adorais ces groupes. Dans les années 1990, cette notion de musique alternative a évolué : c'était désormais Nirvana. Nirvana, un groupe alternatif alors que c’est l'un des plus grands groupes du monde ?


Je considère qu’en 2025, je fais de la musique alternative !




Tu considères que Nirvana est le plus grand groupe ?


C’est probablement le plus grand groupe alternatif : il y a des millions de copies… Mais la plupart des gens disent que c'est de la musique alternative. Et je pense qu'il y a toujours eu cette notion de musique alternative dans l'industrie. Et, en un sens, je considère qu’en 2025, je fais de la musique alternative ! En effet, qu'est-ce que la musique mainstream ? La musique mainstream, ce sont des chansons pop de deux minutes souvent chantées par des artistes féminines habillées comme des prostituées et qui vendent leur musique sur TikTok en cinquante secondes. C'est la musique mainstream ! Je ne peux pas être plus éloigné de cette idée (Rires) : je suis un vieux mec qui fait de la musique conceptuelle et vous ne me trouverez pas sur TikTok… quoique vous pouvez me trouver sur TikTok apparemment…
Tout ça pour dire que l'alternative a toujours représenté une part importante de l'industrie musicale parce qu'il y aura toujours des gens qui chercheront quelque chose de plus profond : "Dark Side of the Moon" continue à se vendre à des milliers de copies chaque année à des gens qui aiment probablement écouter des albums profonds avec un vrai concept.


A propos de concept, dirais-tu que depuis "The Harmony Codex", ta musique est devenue plus intellectuelle ?

Pas que je m'en souvienne. Je pense qu'il y a toujours eu cette volonté dans ma musique. Je pense que "Future Bites" et "To The Bone" étaient des tentatives pour créer quelque chose de plus majeur, un peu plus accessible. "The Harmony Codex" se réclamait de beaucoup d’aspects de ma musique et les a réunis. L'ambiance, l'électronique, le côté progressif, le jazz, la sensibilité pop, la sensibilité rock, tout ça a été mis ensemble et "The Overview" poursuit cette tendance…


Tu parles de styles mélangés. "The Overview" s’inscrit dans une tradition purement rock progressif voire atmosphérique, et finalement ton penchant pour l’électro est assez peu présent à part à certains moments sur le titre ‘The Overview’. Pourquoi ce choix alors que le sujet de l’album aurait pu se prêter à plus d’électro ?

C’est une très bonne question à laquelle je ne saurai répondre (Rires) ! Je suis tout simplement ma musique. Mais je ne sais pas pourquoi. Il y a beaucoup d'éléments électroniques mais tu as raison, la guitare est beaucoup plus présente sur cet album.
Encore une fois, je ne sais pas pourquoi mais j’essaie toujours de faire quelque chose de différent à chaque album et c'est ainsi que ça s'est passé.


Chez moi, tout commence par le concept



C’est effectivement paradoxal parce qu’il y a moins d’électro que dans les précédents alors que le sujet s’y prêtait plus : une volonté de ta part de déstabiliser ton public ?

Je ne suis pas sûr que je sois moi-même conscient de ma motivation pour avoir fait ça. Mais tu as raison, il y a une sorte d'ironie dans cette démarche. Tu sais, il y a la tradition space rock avec Pink Floyd, Hawkwind, Grateful Dead… En fait, chez moi, tout commence par le concept. Et c'est un exemple d’une situation inhabituelle pour moi à savoir que j'avais un titre et le concept même avant de faire une seule note de musique. Je savais que cet album s’intitulerait "The Overview" avant même d’avoir écrit une seule note de musique. Je savais également que ça allait être un long voyage conceptuel et que ça allait être une longue plage de musique. J'avais le sentiment que ça n’aurait pas de sens de faire dix chansons courtes pour évoquer ce sujet. Je savais qu’il fallait que ce soit dans un format long et ça m’a également conduit à utiliser un vocabulaire musical un peu différent…


Ce nouvel album constitué de deux longues pièces me rappelle une précédente interview et plus précisément une réponse que tu as faite et que je ressors souvent en interview d’autres artistes est de savoir quand arrêter l’écriture d’un morceau... Comment as-tu fait pour ces deux chansons que tu aurais pu faire durer plus longtemps encore ?

J'avais envie que cet album ait la forme et le flow d'un vieux vinyle avec deux longues pièces comme à l’époque. "Tubular Bells" (NdStruck : Mike Oldfield), "In A Silent Way" (NdStruck : Miles Davies), "Rubycon" (NdStruck : Tangerine Dream)… tous ces classiques qui avaient juste deux titres et dans mon esprit, c’est le format des vieux vinyles et pour cette raison, je savais que cet album allait durer 45 minutes maximum.


On a l’impression que tes deux phases musicales récentes illustrent deux visions contrastées : une première plus anguleuse, percussive et masculine, suivie d’une approche plus posée et contemplative, presque féminine. Ces visions semblent trouver son incarnation avec "The Overview" avec ces deux titres. Est-ce une lecture pertinente de ton travail, ou vois-tu les choses autrement ?

Je ne tente pas d'analyser ce que je fais. J’essaie de contourner ta question (Sourire) mais je vais y répondre à ma façon : deux choses vraiment intéressantes dans le fait de faire de la musique. Premièrement, quand je fais de la musique, je n'ai plus conscience de mes influences. Les gens me demandent si je suis influencé par tel ou tel groupe parce que ça leur rappelle ce groupe…


… Ce qui était compréhensible à tes débuts…


Mais ça l’est encore aujourd’hui…


J’ai passé trente ans à construire mon propre vocabulaire musical


Certes, mais au-delà des influences que nous avons tous, tu as réussi à créer ta propre identité…


Exactement. Le fait est que tu pourras toujours entendre des influences dans la musique de n’importe quel musicien : rien ne vient de nulle part.
Premièrement, je ne suis pas vraiment conscient de mes influences. Et deuxièmement si c’est le cas, c’est parce que j’ai passé trente ans à construire mon propre vocabulaire musical. J’ai un certain son et une certaine approche dans ma façon de faire qui est instantanément reconnaissable et tu l'as décrite.
Mais le fait est que l'une des choses qui est vraiment intéressante est que quand je fais de la musique, je n'ai pas conscience de ça parce que faire de la musique pour moi, c’est comme respirer ! Et c'est seulement quand je dois parler de ça avec des gens comme toi que je me rends compte de ça…
Malgré tout, c’est vrai, ta lecture des choses est parfaitement valide et je ne vais pas du tout la contredire mais ce n'est pas quelque chose dont j'ai intellectuellement conscience. Encore une fois, pour moi, c’est comme respirer et c’est désormais juste mon style.


Faire de la musique pour moi, c’est comme respirer !




Dans ces conditions, je pense que tu me feras la même réponse pour cette question : quel lien fais-tu (si tu en fais un) entre ta vie privée maintenant stabilisée et ta manière de composer de la musique ? Penses-tu que quelque chose a changé ?

Je ne sais pas. C'est très intéressant parce qu’évidemment beaucoup de mes fans pensent que le fait d’être marié est la raison pour laquelle j'ai commencé à faire une musique plus orientée pop alors que ce n’était pas du tout le cas : c’est une pure coïncidence…


… Et cette orientation éventuelle vers une musique plus pop n’a pas de sens à l’écoute de ce nouvel album…

Exactement !


Je me sens très à l'aise avec la personne que je suis et la place que j'occupe dans l'industrie musicale


Mais pour en revenir à la question précédente à savoir qu’on avait le sentiment de deux visions : une plus masculine et l’autre féminine, cette seconde vision serait peut-être influencée par ta vie privée…

Probablement et mes deux filles, mes deux belles-filles… Ça m’a certainement changé. Je me sens beaucoup plus à l'aise maintenant… Mais on en revient plus ou moins à ta question précédente sur le fait que je sois toujours intéressé par le fait d’être mainstream ou avoir du succès…  Je me sens très à l'aise avec la personne que je suis et la place que j'occupe dans l'industrie musicale : ce que je fais, être l'alternative, être l'alternative pour les gens qui aiment encore la musique de rock conceptuelle. Et bien sûr, une partie de ça vient du fait que je me sens très heureux dans ma vie privée personnelle et ressentir cette stabilité qui me permet ainsi de poursuivre ce chemin…


Tes explorations des textures sonores et du design sonore dans "The Future Bites" ou "The Harmony Codex" t’ont-elles amené à aborder la narration musicale différemment sur ce nouvel opus ?

Bien sûr ! Encore une fois, c'est difficile pour moi d’analyser cela et te donner des spécificités mais je pense que c’est un album que je n'aurais pu faire qu’en ayant fait "The Future Bites" et "The Harmony Codex"…


Ce sont des étapes ?

Exactement, et c'est tout un processus de développement de style, de son. Comme tu l’as dit, beaucoup d’aspects électroniques des derniers albums ne sont pas si prédominants sur cet album malgré tout, ils sont encore là.


Malgré tout, tu as conscience de cette évolution, as-tu une idée de ce que pourrait être la prochaine étape ?


Pas encore (Sourire).


En souriant, tu suggères que tu le sais déjà plus ou moins…

(Rires) J’ai toujours une idée de ce que je vais faire après mais j’ai encore énormément de travail à faire avec cet album à commencer par tourner : je veux tourner avec cet album et continuer à parler de cet album… Je ne veux pas trop stresser sur ce que sera mon prochain mouvement mais ce sera certainement quelque chose de différent une nouvelle fois.


On en revient à ce que tu disais en début d’interview à savoir que tu n’as pas le temps de regarder autour de toi avec cette frénésie créatrice musicale...


J’essaie de prendre le temps mais c’est vrai que cet album est arrivé relativement rapidement -18 mois après "The Harmony Codex"- ce qui n'est rien !


Il y a toujours eu une partie de moi qui pense que chaque album est le dernier et que je n’aurai plus rien à dire !




Mais pour en revenir à cette frénésie créatrice et ce délai court entre ces deux derniers albums, ne crains-tu pas de ne plus rien avoir à dire ?

Il y a toujours eu une partie de moi qui pense que chaque album est le dernier et que je n’aurai plus rien à dire ! Mais ce sentiment est très commun.


Mais c’est particulièrement vrai dans ton cas parce que tu sors…

… beaucoup d’albums, je sais…


A 57 ans, je me considère encore au sommet de mon jeu


Malgré tout, ta force est que tu arrives à te renouveler avec cette forte identité dont on parlait tout à l’heure avec le risque que certains auditeurs auront en écoutant l’album pour la première fois se dire que c’est un nouvel album de Steven Wilson sans surprise et que tu puisses décevoir mais non, ce n’est jamais le cas…

C’est de la musique pour mes oreilles (Rires) ! A 57 ans, je me considère encore au sommet de mon jeu. Je dis ça parce que la plupart de la musique avec laquelle j'ai grandi, la plupart de la musique que j'aime, la plupart des groupes… ont créé leur plus grand travail quand ils avaient 20 / 30 ans et le reste de leur carrière, ils se sont reposés sur leurs lauriers : c’est le cas de Pete Townshend, Pink Floyd, Led Zeppelin, Kate Bush, Peter Gabriel ont tous créé leurs meilleurs albums quand ils avaient 20 ou 30 ans et par la suite, ils ont surfé sur ce qu’ils avaient fait dans leur jeunesse…
A 57 ans, je me considère donc encore au sommet de mon jeu et c’est assez inhabituel. Je pense que l'un des avantages que j'ai comme musicien, c'est que je suis encore très passionné à écouter, à expérimenter et à découvrir la musique. Et j'aime tous les genres de musique.


On peut également faire le même rapprochement avec ton ami Mikael Åkerfeldt qui revient avec un dernier Opeth qui n’est pas seulement un retour aux sources mais certainement le concept album du groupe le plus poussé et peut-être le plus progressif…

C’est vrai !


Pour finir et pour rester sur le thème de l’espace, Stanley Kubrick était un visionnaire avec "2001, l’odyssée de l’espace". Tu t’es toi-même récemment inquiété de l’arrivée de l’Intelligence Artificielle dans la musique. On sait qu’il y a déjà des playlists entières sur Spotify entièrement composées par l’Intelligence Artificielle. Tu en as un peu parlé tout à l’heure en évoquant une menace mais comment vois-tu l’avenir de la musique ?

C’est une vaste question dont tout le monde parle. Il est clair que l’Intelligence Artificielle n’en est qu’à ses débuts et n’est pas près de disparaître. Dès lors, la question est de savoir comment un artiste comme moi ou n’importe quel artiste trouvera une façon d'intégrer ça dans notre processus.
Tu peux argumenter en disant que l’Intelligence Artificielle est dans la musique depuis des années, depuis que nous avons des samplers, de l’autotune, des logiciels qui reproduisent des instruments comme la batterie… Cette technologie est en place depuis des années pour assister la procédure créative…


La musique est une question de personnalité




Assister est le mot mais ça change…

Absolument ! Maintenant, on est dans une situation où elle ne va pas seulement nous assister mais nous remplacer intentionnellement.
J’ai toujours pensé que la musique est une question de personnalité. Elle est toujours une question d’âme, de condition humaine. La question est de savoir si l'Intelligence Artificielle peut reproduire cela… Je pense que pour certains genres de musique c’est déjà le cas comme la musique techno -l'Intelligence Artificielle peut en générer des heures et des heures en une seconde- parce que la musique techno est basée sur des paramètres très stricts... J’aime la musique techno mais elle n'y a pas beaucoup de qualité humaine à l’intérieur…
Maintenant savoir si une Intelligence Artificielle pourrait composer un album comme "The Overview" ? Non, pas maintenant, mais qui sait dans cinq ans… C’est une perspective assez effrayante…
La question existentielle est de savoir si le public sera d’accord pour écouter de la musique s’ils savent qu’elle est créée par de l’Intelligence Artificielle ? Les gens auront-ils une objection intellectuelle à cela ?


Et on en revient à ta question de savoir pourquoi le public peut se poser et regarder un film pendant trois heures et ne peuvent pas le faire pour la musique parce que tout simplement, les gens consomment de la musique et ne l’écoutent pas… et je crains que ce public majoritaire ne fasse aucune différence entre une musique créée par une Intelligence Artificielle ou un artiste…

Je le crains également… Et je dirais même que la question n’est pas forcément ce qu’en pense notre génération mais plutôt ce que les jeunes pensent de cela. Parce que si cette nouvelle génération estime que ce n’est pas un problème pour eux -parce qu’ils ont une attitude complètement différente de la technologie et de l'Intelligence Artificielle- s’ils n’ont aucun problème philosophique, moral ou existentiel à écouter de la musique totalement générée par une Intelligence Artificielle, nous allons avoir de gros problèmes (Sourire).
Je ne sais pas mais ce qui est sûr c’est que ça va être fascinant de voir comment ça va se développer dans les prochaines années.


On verra mais avant cela, on aura le temps de profiter de ce nouvel album !


Merci !


Merci beaucoup

(En français) "Merci beaucoup"


Merci à Newf et Calgepo pour leur contribution...



Plus d'informations sur https://stevenwilsonhq.com
 
(1) COMMENTAIRE(S)  
 
 
TONYB
09/03/2025
  1
Superbe interview ! Bravo pour la pertinence des questions qui permet de découvrir Steven Wilson sous un angle qu'on n'imaginait pas forcément, et qui le rend beaucoup plus humain
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