Kozh Dall passe d'albums avec une multitude d'invités à un album dans lequel Laurent, le créateur du projet, se retrouve quasiment seul. Qu'est ce qui explique ce changement de cap ? Vous en saurez plus en lisant cette interview.
On va parler du projet et un peu du passé. Avec "Kozh Dall Division" et dans la foulée "Memories" tu avais proposé deux disques très denses en peu de temps avec un nombre d'invités impressionnant. Avec le recul quel regard portes-tu sur ces deux albums ?
On va dire que j'en suis très fier. Le seul petit regret serait pour "Memories" où il y a trop de titres, trop disparates, et qu'il n'est pas évident d'écouter ces deux albums d'une traite. Ça fait un peu un effet compilation qui n'était pas voulu. Par contre, je suis fier d'avoir fait participer plein de grands talents du metal. J'ai réussi à aller vite et je pense que je ne serai pas capable de réitérer ça et puis j'en n'ai pas l'intention de toute façon car j'aime bien ne pas rester sur des acquis ou des choses similaires. J'aime bien innover.
Qu'est-ce qui a fait que tu as été emporté par autant de densité pour ces deux albums ?
J'avais une inspiration qui était grande à l'époque. Comme le premier album a eu un super retour et que j'avais composé des choses au fur et à mesure avec le noyau dur, les autres avaient des idées à me soumettre et des gens qu'ils connaissaient pour tel ou tel invité et je disais jamais non, peu importe le statut, connu ou débutant. C'est la passion qui menait la danse et pas le fait que les invités soient connus. Il n'y a eu aucune rémunération pour eux. Cela a été fait entre potes, passionnés par le metal. Ils m'ont donné du temps et je les en remercie encore à l'occasion de cette interview.
Je n'aime pas qu'on me dirige alors ce n'est pas pour diriger les autres que je l'ai fait.
Tu as réussi à driver tous ces invités comment, ça a été plus facile avec les moins connus ?
En fait, je les ai tous pris de la même manière. Je faisais la musique et eux avaient carte blanche dans leur façon d'interpréter leurs textes et chants. ils ont en quelque sorte composé les lignes de chants. Je leur ai ensuite demandé leur approbation pour le mix. Cela a été assez rapide et on ne s'est pas pris la tête. Il fallait que ce soit représentatif. J'étais très ouvert, c'était leur trip. J'avais parfois des idées mais je les ai gardées pour moi et je n'ai jamais imposé quoi que ce soit. C'était très collectif et ils étaient libres. Je n'aime pas qu'on me dirige alors ce n'est pas pour diriger les autres que je l'ai fait.
Pourtant c'est une expérience que tu n'as pas rééditée pour ce nouvel album. D'ailleurs il s'est écoulé quatre ans depuis "Mémories". C'était nécessaire pour toi d'avoir un recul et un délai ?
Il m'est arrivé des petites choses personnelles qui m'ont perturbé (un divorce). Je n'étais plus dans la musique, ni dans la passion, je n'y pensais même plus. Il a fallu se recentrer, notamment pour faire vivre ma société. Ce sont des histoires que tout le monde peut rencontrer un jour, ça m'a un peu choqué. On va dire que j'avais pas la tête à la musique. Et cet album que j'ai fait tout seul "Deaf Mute" a commencé à être écrit il y a un an et pour certains titres c'est un peu du vécu de ces dernières années.
Ce n'est pas des paroles ou des textes qui comptent c'est plutôt des émotions, ça se sent dans ma voix
C'est donc un album thérapie pour toi en te recentrant sur toi-même, alors que précédemment tu avais moult invités, pour exprimer quelque chose de très personnel ?
Intérieurement c'est tout à fait ça mais ce ne sont pas des paroles ou des textes qui comptent c'est plutôt des émotions, ça se sent dans ma voix. Ce sont des
one shot, des improvisations aussi et des choses tablées sur du ressenti, des émotions de l'instant qu'on ne peut pas faire quand on veut le reproduire : une voix un peu fébrile... Il fallait les capter sur l'instant. J'avais envie de vrai dans mon interprétation, il y a des petits défauts mais tout ceci est voulu.
La difficulté qui me vient à l'esprit c'est pour le live, comment envisages-tu de retranscrire ces émotions prises sur instantané si un jour il y a l'opportunité d'une scène qui se présente ?
Eh oui, tu as raison. C'est vrai que ce sera différent. Les voix je les fais sans problème, mais les passages en voix fluette en live, ce sera difficilement retranscrit. Les volumes sont différents et je ne suis pas sûr que ce sera si chouette que ça. En fait, on n'est pas un groupe de scène. Je n'ai pas beaucoup de temps pour faire les répétitions, et les musiciens non plus.
En fait, le projet est donc essentiellement studio...
Tout à fait. Le jour où il y a des milliers de personnes qui nous demandent de faire du live on s'y penchera mais on laisse la place aux jeunes. Répéter des semaines et des semaines pour avoir dix fans dans la salle, dont des amis, des parents.... C'est sympa, mais je peux pas. Je n'ai pas de temps pour ça, pour essayer de reproduire ce côté live qu'on aurait voulu avoir. Il n'y a pas besoin de faire cette démarche.
Pourtant les albums ont eu des bons retours et le public attendent peut être ces live ?
Oui, des bons retours. Disons que pour moi c'est plus facile de faire le "Deaf Mute" en live car je suis le seul interprète et j'ai fait une dizaine de titres sur les autres mais techniquement il me manque du temps et je ne suis pas sûr que le jeu en vaut la chandelle. J'ai peur d'être déçu d'avoir passé trop de temps pour un résultat qui ne me conviendrait pas. On se fait plaisir en studio et en réalisant ces albums.
C'est avant tout pour vous que vous le faites alors ...
C'est presque ça. On a besoin d'avoir des avis et des critiques pour nous améliorer. Je suis très attentif à cela. On va dire qu'elles ont été positives. Mais c'est vrai que le retour sur investissement me fait craindre que ça ne vaillepas tout ce temps de répétitions.... Tu vois, je vais dire une grosse bêtise mais si j'avais fait un album parfait dans le style de Metallica avec la même voix que James Hetfield, je ne crois pas que ça aurait eu plus de retentissement que cela. Voilà, c'est la tendance, on est français. Je vais partager sur Facebook une musique que j'ai faite je vais avoir 20 likes, je vais partager un truc super connu, je ne vais pas avoir plus de like. Disons, il y a plus de musiciens que de fans, de communication... que pour sortir du lot c'est difficile. J'ai 52 balais, on se fait plaisir. On a quelques fans et ça nous suffit. On n'a pas de prétention et heureusement, car sinon cela ferait longtemps que j'aurais arrêté de faire de la musique.
Et pourtant, changement de nom, nouveau logo...
Je fait d'être tout seul au chant, le "division" ne m'intéressait plus. Et le logo, je voulais avoir quelque chose de plus personnel. J'adore en dessiner. La pochette c'est Charles Boisart qui nous a fait un super truc, qui écrit les lettres gothiques de manière précise et parfaite. Ça sort un peu du lot, ça reste agressif, un peu metal mais pas commun non plus.
C'est surtout le premier album que je fais tout seul au chant et j'avais quelque chose à me prouver
On a l'impression avec ces changements, la promo avec Replica, on te sent sur la tangente pour avoir un peu plus de reconnaissance malgré ce que tu nous disais tout à l'heure et notamment avec ce nouvel album qui constitue un nouveau départ....
Personnel, oui, tu as raison. C'est surtout le premier album que je fais tout seul au chant et j'avais quelque chose à me prouver. C'est pour cela que j'appuie un peu plus notamment avec Replica, deux ou trois pub. C'était surtout des émotions que j'avais envie de partager. Pour faire le trou autour de cette communication, je me disais que si je ne le fais pas là, je ne le ferai plus jamais. On n'attend rien après ça, mais montrer que ça existe et après les gens en feront ce qu'ils en veulent. C'est un autre problème.
Toutes ces émotions tu les transmets autour d'un concept-album autour d'un personnage sourd muet, Kozh Dall signifie vieil aveugle... décidément ce personnage n'a pas de chance ?
Il a tous les défauts. Le terme sourd muet avec la pochette où le mec implose... ça vient de l'intérieur. C'est un peu ça l'idée. Il ne peut pas communiquer, ça vient de l'intérieur, comme s'il y avait un gros silence et d'un coup il ne peut pas faire grand chose à part crier, pleurer, exploser...
Un peu un cri silencieux, du coup ?
Oui, voilà, et qui sortirait d'une manière ou d'une autre...
C'est peut-être cette envie que tu avais de crier pendant cette période de quatre ans mais que tu ne pouvais pas faire ?
Peut-être, oui un petit peu sur quelques titres.
Tu pousses très loin le concept jusque dans les titres qui n'ont pas de nom mais qui sont représentés par les pictogrammes des sourds et muets...
En fait, cet album, je n'avais pas envie de me prendre la tête avec des textes et des titres (sauf pour le nom de l'album), des mots (il y en a un peu) pour laisser à chacun sa propre interprétation de ce qu'il entend, c'est surtout le son qui compte. On ferme les yeux et on ne fait pas attention s'il y a des paroles, c'est surtout dans l'émotion d'un personnage, qui pourrait être un animal... C'est presque pas de paroles pour éviter les mensonges, le concept. Cela m'a permis de me lâcher encore plus car j'aime faire des voix différentes : claires ou
growl... J'aime explorer cela. Tout miser sur les intonations... Je ne suis pas un bon parolier, je n'ai pas envie de perdre du temps avec ça. J'ai rien à dire mais beaucoup à faire ressentir. Je ne me suis jamais aussi bien exprimé que sur cet album, c'est pour dire que pour moi les mots n'ont pas de sens.
Avec ce niveau de conception, on est quasiment dans le propre de ce qu'est l'Art ?
C'est gentil, tu fais de la grosse crotte et tu me dis ça....
Mais pourquoi ce regard, on a l'impression au fil de l'interview que tu portes un regard négatif alors qu'au contraire cette démarche que tu as es presque plus celle d'un peintre abstrait...
Cela peut être facile de se réfugier derrière ça, derrière ces émotions. Ce sont les miennes, mes tripes et chacun se l'approprie comme il l'entend que ça plaise ou non. Rien que cela, c'est gagné pour moi. Si ça provoque quelque chose et que si c'est ça de l'art, alors tant mieux.
Il faut être fier plutôt de ce que tu as fait...
Oui je suis fier, je pense qu'il y a des choses que personnes n'avaient osé faire, ou du moins pas grand monde n'aurait osé faire ne serait-ce que sur les titres...
Certains morceaux se rapprochent de ceux de SUP...
Le peu que j'ai entendu, en effet il y a des choses qui sont similaires et je suis preneur de ce rapprochement. On peut voir aussi un peu du Depeche Mode ou new wave bien entendu. J'aime bien tout ce qui est un peu noir, gothique avec un côté aussi agressif aussi.
On retrouve un ton effectivement gothique sur certains passages de l'album du type Paradise Lost, Type O Negative ou My Dying Bridge...
Je connais pas du tout Type O Negative, tu n'es pas le premier à me dire. J'adorais le heavy (King Demon...).
Donc d'instinct sans forcément connaitre, tu arrives à t'en rapprocher. En disant cela, est-ce que tu arrives à moins douter de tes capacités car on a l'impression que doutes beaucoup ?
Non, je n'ai aucun doute sur la technique...
Mais plus sur la manière dont est apprécié ou reçu ton travail....
Oui, mais je vais te dire pourquoi. Ça reflète ce que je montre avec l'album. Ma façon de voir la musique que je fais, je n'aime pas la vanter, dire que ça déchire... non, c'est pas mon trip. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. J'ai horreur de ça, quelqu'un qui valorise son propre travail. Je suis avide de bons avis, de bonnes critiques, ça fait plaisir mais dire moi même que mon travail est le meilleur, ça me gonfle. Je l'ai fait quand j'étais dans d'autres groupes et j'aimais pas ça. Montrer ses muscles alors que c'est une glace déformante...
C'est une forme de pudeur ou d'humilité qui est presque surprenant là où dans la musique il y a pas mal d'égo....
Quand je fais un album, je l'écoute plein de fois avant qu'il soit pressé. Ensuite, une fois cela fait, je l'écoute une fois voire deux fois et terminé. Je n'ai même plus l'envie d'écouter mais de passer à autre chose. Ce n'est plus mon album, c'est celui des auditeurs. C'est dans ma nature et je ne regarde pas derrière moi.
Tu as envie de te challenger tout le temps, de repousser tes limites ?
Pas forcément ça, c'est la création qui m'intéresse le plus. Je ne m'entraîne plus depuis 20 ans. Je ne sais jouer aucun morceau, je dois l'apprendre longtemps pour le jouer. Je ne fais aucun morceau alors que j'ai la technique pour faire de la guitare à peu près normalement. J'aime créer mais ne pas recopier ce qui existe déjà.
L'idée de dire que Kozh Dall n'a rien inventé mais il fait divers types
de voix qu'on n'entend pas chez les autres groupes me va très bien.
Cela rappelle les groupes rock des années 70 où la création était le maître mot...
Aujourd'hui je pense que presque tout a été créé mais dans l'esprit de l'époque, de rechercher à être différent, oui. Ce que je fais n'est peut être pas précurseur mais j'ai envie d'être différent et de sortir du commun. L'idée de dire que Kozh Dall n'a rien inventé mais il fait divers types de voix qu'on n'entend pas chez les autres groupes me va très bien.
Qu'attends-tu de cet album ?
Cet album c'est peut-être un début et une fin. Je le prends un peu comme ça. Il m'a ouvert les yeux sur mes voix et mes lignes de chant et j'ai envie de continuer comme ça. C'est ça que j'aime. Je pense que je n'arriverai pas à faire un style sur un seul album. Je ne calcule rien en tout cas.
Merci pour ton humilité et pour cette interview.
Merci à vous pour le temps que vous avez consacré à écouter et travailler sur cet album. C'était très bien.
Merci à Noise pour sa contribution...