NAC est né dans le milieu des années 90, fort d'un ensemble de musiciens hétéroclites et d'expérience. En fin 2021, NAC sort "Dystopie" qui revêt un écho particulier vis-à-vis du contexte dans lequel il a été composé et enregistré. Music Waves offre un peu de lumière à NAC.
Pour commencer, voici une question que nous ne posons quasiment jamais car généralement la réponse est facile à trouver sur internet. Mais dans votre cas, nous avons très peu d’informations. Alors pouvez-vous nous raconter votre parcours et la création de NAC ?
NAC est à la base issu d'un premier groupe, qui s'appelait Mapple Neck. C’est en 1994 que Elliot (Lionel Baudet), Pierrot (Pierre Toïgo) et Totof (Christophe Boulogne) forment NAC dans le but de se remettre à jouer ensemble pour le plaisir. Christophe déménage en 1996 à Pau, laissant Elliot et Pierrot tenir la barre à deux jusqu'au début des années 2000. L'effectif se renforce ponctuellement de bassistes, chanteurs, claviéristes, mais la formation reste incertaine jusqu'en 2014, avec l'arrivée du chanteur actuel David Béché. Rejoint progressivement par un batteur (Sylvain Mallet) et un bassiste (Arthur Beaulieu), l'effectif s'étoffe et regroupe maintenant les générations autour de l'envie de jouer du gros Rock!
Votre Bandcamp précise que NAC signifie non pas Nouvel Animal de Compagnie mais pourrait être traduit par Lame As Fuck (qui veut dire Nul A Chier), pourquoi une telle provocation (alors que votre musique ne l’est pas) ?
En effet, le nom NAC est une sorte de challenge de groupe, comme une constante remise en question de sa légitimité et de son potentiel. Nous aimons nous donner pour surpasser notre niveau avant tout amateur, en démontrant d’abord à nous-mêmes que nous ne sommes pas ce qui nous définit, et ensuite à nos auditeurs que l’idée est plus forte que la sémantique. C’est un éternel recommencement, chaque projet est une remise à niveau et notre nom est une nouvelle montagne à gravir. En soi, ce n’est pas une provocation mais un défi.
L’essence même de NAC est la mixité des générations et de fait, d’influences et des genres.
Pourtant la traduction à laquelle nous pensions pourrait correspondre à cette signification de nouvel animal de compagnie tant votre musique revêt un caractère caméléon mélangeant le Ange des années 70 et certains aspects hard rock voire un peu punk. Vous aimez cultiver ce caractère hybride ?
L’essence même de NAC est la mixité des générations et de fait, d’influences et des genres. Cette disparité des âges (plus de 30 ans séparent les aînés des cadets) permet à chacun d’amener sa sensibilité musicale ; nous ne voulons pas nous cloisonner à un style. Pour nous, les barrières entre les courants musicaux sont poreuses entre elles et doivent transpirer d’influences. C’est ce que nous essayons de faire humblement et vers quoi nous souhaitons aspirer.
On retrouve en effet cet esprit raconteur d’histoires si chère à Ange notamment dans ‘Bad Dreams’ qui semble s’être perdu aujourd’hui, que représente pour vous cette époque révolue des années 70-80 où tout semblait possible musicalement avec un public réceptif ?
'Bad Dreams' raconte l’histoire, ou plutôt la mésaventure de notre chanteur au cours d’un voyage en Inde. Nous avions à cœur de raconter cette épopée que nous avions suivie à distance, mais aussi pour être tout à fait honnête, pour se foutre de sa gueule ! Les années 1970 en musique, c’est la grande explosion, l’effusion de créativité que l’on apprécie tant chez NAC et dont nous avons tiré l’envie d’écrire ainsi. À cette époque, Ange a mis en lumière que les paroles pouvaient être contées et que la musique venait seulement supporter un discours et créer les enluminures de ces épopées fantastiques. À notre sens, cette profusion de musique a simplement évolué ; la créativité s’exprime maintenant de beaucoup plus de manières qu’à l’époque. Nous ne sommes pas fatalistes ni nostalgiques pour autant, le public a changé, la musique avec et cette dernière ne se consomme plus pareil. Ce n’est ni bien ni mal, nous essayons juste de rester fidèles à ce que l’on aime : faire de la musique ensemble. Si cela plait au passage, tant mieux, mais notre plaisir est préservé de ces considérations.
La manière dont la musique est perçue par le public a énormément changé depuis des années avec le streaming, les playlists… les gens la consomment plus qu’elle ne se vit, comment appréhendez-vous cette évolution ? Est-ce que vous vous sentez à l’aise face à ce changement ?
Ce n’est certainement pas une fatalité pour nous, l’évolution suit son cours et à trop regarder en arrière, on en oublie la créativité. La musique est le reflet et le frisson d’un monde à l’instant T et nous ne voulons pas parler d’un monde passé mais bien du monde présent. Le streaming a ses codes qui ne sont pas ceux de l’écoute d’un disque dans son intégralité, mais il permet un accès plus facile et gratuit à tous. Chaque nouveau support aura subi les foudres des auditeurs : d’abord le vinyle, qui ne pouvait remplacer l’expérience du concert, ensuite le CD qui, en démocratisant l’écoute la rendrait moins attentive et maintenant le streaming qui ferait de la musique un consommable instantané et insipide... mais c’est ainsi que la musique évolue ! Et comment ne pas apprécier de pouvoir découvrir des groupes et musiques des quatre coins du monde en quelques clics! En ce qui nous concerne, nous avons la chance d’avoir David et Arthur qui maîtrisent ces nouveaux outils et moyens de diffusion, alors pourquoi les bouder ? Car plus l’accès de la musique est facile, plus il y aura de la musique dans le monde et comment ne pas être heureux dans un monde rempli de musique, quelle qu'elle soit.

La pochette de l’album est très minimaliste, cultivant un peu ce mystère que vous semblez entretenir, n’est-ce pas paradoxal pour des musiciens à une époque où les réseaux sociaux semblent être devenus indispensables pour se faire connaître et où l’image revêt une grande importance ?
La pochette (et l’artwork pour être plus général) est une question que nous avons longuement discutée au sein du groupe, pour finalement privilégier une œuvre abstraite, afin de donner une couleur plutôt qu’une iconographie à ce projet musical. Le caractère abstrait de cette peinture permet à chaque personne qui la regarde d’y poser ses sentiments et ses mots plutôt que les nôtres ; dès que l’album sort, sa musique appartient à l’auditeur et nous voulons que chacun puisse s’approprier les chansons qu’il contient en ses propres termes. Après tout, l’abstrait entretient le mystère et légitimement la curiosité, ce qui n’est pas nécessairement incompatible avec la communication sur les réseaux sociaux.
Vous êtes signés sous le label Messe Basse Production qui est une association indépendante permettant de promouvoir des artistes au sens le plus large, en quoi ce choix d’un tel label est important pour vous ?
Le label Messe Basse Production est une jeune structure associative qui laisse les artistes de tous types se concentrer sur leurs œuvres tout en leur proposant et adaptant ses services. L’association ne court pas après le chiffre, NAC reste propriétaire de ses masters, et c’est cette indépendance absolue vis-à-vis de notre musique qui en a fait un choix évident, en accord avec nos valeurs. De plus, cela nous décharge de l’aspect production, diffusion et communication et cela nous laisse beaucoup de place pour nous concentrer sur les compositions et les textes.
Le thème de la Dystopie reflète la décadence de notre monde dans bien des domaines, où les valeurs qui nous réunissaient sont maintenant trop souvent bafouées.
Parlons de l’album "Dystopie" qui, au regard de la situation actuelle, des pass sanitaires, de la privation de liberté, de la surveillance des gens, du traçage semble avoir une résonance toute particulière, est-ce que cet album est venu en réaction à la situation actuelle ?
Tout à fait, ce projet est un pur produit du confinement. La fermeture de notre local de répétition nous a un peu poussés (et c’est tant mieux) à nous tourner vers une autre manière de continuer de pratiquer. Le thème de la Dystopie reflète la décadence de notre monde dans bien des domaines, où les valeurs qui nous réunissaient sont maintenant trop souvent bafouées. L’écriture et la composition des musiques fait écho à ces problématiques, mais l’album reste malgré tout teinté d’optimisme. Les thématiques abordés par les chansons oscillent entre la frivolité du voyage, la légèreté de l’amour, les inégalités et l’(in)justice sociale pour enfin terminer par la Résilience, clin d’œil non dissimulé à cette étrange période et à son champ lexical qui nous est tous familier.
Le son de votre album sonne très live, sans fioriture, un son très garage proche de l’auditeur, c’était important de donner à "Dystopie" cette couleur particulière ?
La production à tout autant évolué que les moyens de diffusion dont nous parlions plus tôt. Il est vite tentant de réaliser des enregistrements ultra propres, quantizer au possible, mais nous avons fait le choix de garder ce son brut sans détour. Nous sommes et restons des musiciens amateurs et de ce fait, cela nous paraissait absurde de passer pour ce que nous ne sommes pas, par le biais d’un enregistrement « parfait » et ultra-retravaillé. Nous avons enregistré ces morceaux comme nous les jouons en répétition ; en dépit de notre niveau, c’est l’énergie que l’on met à les jouer qui fait notre son. Il était important à cet égard que cela se traduise pendant les sessions en studio.
L’une des particularités du groupe est d’alterner le chant en français et en anglais là où d’autres font des choix tranchés en faveur souvent de l’anglais plus musical là où composer en français semble délicat. Ressentez-vous cette difficulté ?
Notre chanteur ayant beaucoup voyagé, l’aspect multiculturel est quelque chose qui nous importe grandement. Le français, bien que plus compliqué à écrire pour qu’il soit mélodieux, permet de raconter des histoires avec une plus grande sincérité tout en gardant l'intensité du message. L’anglais, comme vous l’avez mentionné, revêt un aspect plus musical et tranchant permettant des lignes de chant plus énergiques. Enfin, Amor Ciego en espagnol est un clin d’œil au groupe de rock progressif chilien Tryo, que nous apprécions grandement et qui nous inspire. De plus, la diversité des langues permet aussi de diffuser notre message dans davantage de pays ; ayant des amis dispersés dans le monde, nous aimons ce côté universel que nous essayons de mettre en avant par ces textes.
C’est ce mélange de prog, de hard, de punk, de rap et de bien d’autres, qui nourrit peut-être cette part d’authenticité.
A l’époque où le rock semble être de plus en plus embourgeoisé malgré quelques groupes (No One Is Innocent, Tagada Jones, Mass Hysteria…) et avoir oublié là d’où il vient, de l’underground, vous semblez avoir conservé ce caractère concerné et de contre-culture. Comment arrivez-vous à conserver cette part d’authenticité qui a été quelque peu mise de côté chez certains ?
À vrai dire, nous ne nous posons pas vraiment la question, nous sommes juste contents de jouer ensemble, donc tant mieux si notre musique est perçue authentique ! Au-delà d’être un loisir, la musique c’est un plaisir que l’on partage et qui, quand il est exprimé en groupe, décuple ce plaisir. Malgré nos différences, nous avons de nombreuses influences musicales qui se croisent, s’entrechoquent et c’est ce mélange de prog, de hard, de punk, de rap et de bien d’autres, qui nourrit peut-être cette part d’authenticité.

Vos titres dépassent souvent les 6 minutes avec notamment les 8 minutes de ‘Résilience’. C’est important aussi (outre l’aspect caméléon musical) pour vous, de laisser une grande expressivité aux instruments ?
S’imposer une durée, c’est se formater à un calibre qui ne correspond pas forcément à ce que l’on a envie d’exprimer sur un titre. Pendant la composition, nous préférons nous concentrer sur des riffs qui se marient bien et partagent une même énergie. Et si ces riffs enchaînés nous amènent à des durées plus longues, qu’il en soit ainsi, tant que ça sonne, ça sera au programme ! De la même manière, nous aimons considérer chaque instrument comme une voix, et si cette dernière a une ligne ou un riff qui lui permet d’exprimer sa sensibilité, alors cela convient à tous. Le chant a évidemment une place centrale dans notre musique puisqu’il véhicule le texte, mais une ligne de basse chaloupée, une intervention de clavier/violon ou un chorus de guitare expressif a également son lot de sens à apporter à l’auditeur.
Justement, ‘Résilience’ revêt des atours progressifs avec un début agressif et rugueux pour ensuite évoluer vers un passage quasi funky qui surprend avec un chant à la Deep Purple et un déchaînement musical. Cette fusion démontre que pour vous la musique est avant tout cathartique ?
Nous aimons jouer sur les différences d’intensité dans nos compositions, cela permet à l’auditeur (et à nous en tant qu’interprètes) de jongler entre la puissance d’un riff musclé et le repos d’une mélodie plus planante. Jouer ensemble est clairement un exutoire pour chacun d’entre nous, cela nous permet de sortir des tracas quotidiens. Pour nous, la musique est par essence cathartique ; lorsque l’on joue, on ressent, on exprime mais surtout, on ne pense qu’à la musique.
« Pour qu’un riff soit bon, il faut que ça envoie la puraga ! ».
Les compositions reposent sur des riffs terriblement efficaces, qu’est-ce qui caractérise pour vous un bon riff ?
Question à la fois triviale et complexe ; le choix des notes et le timing dans lequel on les balance est évidemment caractéristique d’un bon riff. Mais c'est également laisser de l'air quand il le faut. C'est surtout la manière dont il est arrangé qui le rend bon ; qui joue quand, comment, dans quel esprit. L'avantage c'est qu'un bon riff ne se veut pas nécessairement complexe, il n’y a qu’à regarder dans l’histoire récente de la musique. Au cours de la composition, c'est nos influences et notre ressenti qui valident ou non un riff. Pour paraphraser Pierrot : « Pour qu’un riff soit bon, il faut que ça envoie la puraga ! ».
Les lignes de chant sont rauques et habitées sans trop être surjouées, est-ce que cela demande beaucoup de travail comme tous instruments ?
Le chant se veut revendicatif sans pour autant être inquisiteur, pour garder cet esprit global de "Dystopie" teintée d’optimisme. La voix a beaucoup évolué durant la production et notre chanteur a pris confiance en ses capacités. Le développement de la voix s’est fait de manière empirique et a demandé du travail plus personnel pour David, tandis que le travail instrumental a été plus collectif.
L’année 2022 commence, comment appréhendez-vous ces prochains mois pour le groupe notamment en termes de concerts ?
Nous avons eu le plaisir de faire un concert peu de temps après la sortie de l’album. À la base nous étions partis pour tourner en 2022, confronter nos morceaux au public, mais nous nous y sommes pris un peu tard… Et finalement, les nouvelles compositions viennent sans peine. On s'est alors dit qu'il fallait se diriger, un peu naturellement, vers un nouvel opus. Cela nous permettra de revenir avec une proposition de spectacle qui nous laisse plus de souplesse dans le choix des morceaux, et aussi continuer de trouver notre son ensemble, renouveler et innover ! Bref ça sera sûrement plus en 2023 qu'on sera visible en live !