Forest In Blood continue son évocation de la piraterie avec "Haut et Court" varié, racé et un peu mélancolique aussi, qui trouve un écho particulier dans un contexte de privation de liberté. Rencontre avec Elie pour une interview débridée.
Nous avions conclu la précédente interview par la question que vous auriez aimé qu'on vous pose et vous aviez séché à l'époque. Nous avions proposé de commencer la prochaine par cette question, c'est le moment de voir si tu as fait tes devoirs ?
(Rires) Je m'en souvenais plus de ça (Rires), ça commence bien. Disons que ça serait une question autour de la musique bien sûr, peut-être avec qui aimeriez vous tourner ?
Alors avec qui ?
Franchement pour l'histoire, j'aurais dit Slayer mais ils existent plus, peut-être Sepultura, oui !
Pour faire votre première partie, un groupe de retraités ce serait intéressant...
(Rires) oui voilà, ce serait coool !!
Pourquoi ce choix...
Je suis un grand fan de la première période et j'écoutais il y a quelque temps une interview très intéressante. Ce sera l'occasion de faire connaissance avec Derrick Green.
Ou l'inverse lui faire connaissance avec toi.
On pourra faire des cross, lui prendre ma place et moi la sienne.
Le précédent album était venu après 7 ans de silence, deux ans cette fois à peine sort "Haut et Court", comment expliques-tu ce rythme plus rapide qui manifeste peut être une frénésie créative ?
Après la sortie de "
Pirates" on a fait beaucoup de concerts et on est tombé dans l'engrenage. A force de jouer les mêmes morceaux tu en as un peu marre et donc on a commencer à écrire des nouveaux titres et on arrive à cet album. C'est le cycle classique de tout bon musicien avec l'envie de repartir jouer ces nouveaux titres.
Et là, bim.. la pandémie vous coupe l'herbe sous le pied...
Oui, c'est dommage car après le split, ce qui a été à l'origine de notre réunion c'était la reformation pour un concert.
A l'époque vous nous aviez dit vous avoir donné les moyens pour "Pirates", avec le recul êtes-vous satisfaits du résultat et du nombre de concerts que vous avez faits ?
Carrément, cet album nous a permis de revenir dans la circuit. Ça fait un certain moment qu'on existait et ça a été pour nous comme une rampe de lancement, tu vois.
Cet album nous a redonné confiance car beaucoup de monde a suivi et nous respecte comme des anciens.
Cela vous a donné une confiance que vous aviez peut être perdue ?
Quand tu pars aussi longtemps, tu sais pas ce qui se passe, il y a plein de gens qui ont disparu, qui ont changé, les gérants de salles, les organisateurs... et oui finalement cet album nous a redonné confiance car beaucoup de monde a suivi et nous respecte comme des anciens, mais pas non plus comme des grabataires (Rires).
Et avez-vous perçu le changement dans l'industrie musicale entre l'arrêt et votre retour ?
C'était dur de repartir, je t'avoue. Quand on a arrêté après "Apocalypse" je crois c'était la folie, on était au top, on faisait de grosses premières parties et quand tu reviens c'est une reconquête, les gens ont oublié, tout a changé.
Qu'est-ce qui a été le plus dur pour vous, le fait de retravailler ensemble, de reconquérir le public ?
Je pense que c'était reconquérir un nouveau public. Tu sais, nous avions quand même nos fans qui nous ont encore suivis après notre retour mais les choses ont tellement changé dans ce style et nous on est à l'ancienne, on n'utilise pas les
triggs... On avait un certain retard non pas au niveau des compos mais au niveau de la préparation des concerts.. Les jeunes sont plus préparés... Jouer au clic on n'avait jamais fait ça, changer les accordages... Il a fallu qu'on modifie cela. Regarde pour cet album on joue en do, on n'a jamais joué aussi bas.
Les enregistrements de "Haut et Court" ont commencé en décembre....
Ça a duré 2 mois....
... Et qu'est-ce qui explique le fait qu'il sorte si tardivement après la fin de l'enregistrement ?
A la base l'album devait sortir au mois de juin et suivi d'un concert à Paris Porte de la Villette et ensuite il y a cette pandémie et les interdictions de concerts. Du coup on a discuté avec le label car juillet et août tu peux pas le sortir, septembre on savait pas trop et donc il fallait bien qu'il sorte un jour, et c'était là.
Malgré la frustration de ne pas pouvoir le défendre sur scène ...
Oui, sinon à cette allure il serait sorti en 2022 (rires).
L'album exprime une certaine frustration qui trouve un écho particulier au moment où la culture est bâillonnée, vous exprimez quelque chose, une révolte....
On n'a pas senti le truc venir (Rires).
Vous êtes visionnaires ! Mais votre style de musique justement peut être exutoire d'une parole mise sous silence, une énergie particulière, vous avez conscience de ce rôle que vous avez ?
C'est vrai que quand tu l'écoutes tu ressens une oppression et en même temps une envie de rébellion, c'est ce qu'on a voulu faire ressortir et si tu as entendu ça, tant mieux ! Je pense qu'on a réussi à notre niveau.
Est-ce que des titres sont issus des sessions d'écritures de "Pirates" ?
Non, ce sont des nouvelles compositions. On ne revient jamais en arrière. Tout ce qui a été sur "Pirates" a été zappé. On a de la chance d'avoir 3 mecs qui composent. Les deux guitaristes et le bassiste nous apportent leurs idées et on discute, et en général quand un truc nous plait pas on ne revient pas dessus.
Ça fait une bonne vingtaine d'années qu'on est des révoltés
Cet album commence par une mélodie qui ressemble à celle qui certainement emmenait les condamnés à mort à la potence tout en embrayant sur une musique qui trouve donc un écho particulier aujourd'hui, cette expressivité-là prend aux tripes, cette révolte c'est dans votre ADN ?
Oui, ça fait une bonne vingtaine d'années qu'on est des révoltés, mais on n'est pas non plus des fous furieux. Du mois dans la musique on est des révoltés.
Justement, cette manière d'exprimer de manière très rock cette révolte et cette envie de liberté, elle semble aujourd'hui revenir à une conscience sociétale. Il y a eu une période où le rock l'exprimait après il s'est embourgeoisé en devenant mainstream. Vous revenez avec ce discours plus underground et donc avec des thèmes qui reviennent un peu à l'origine du rock. Vous partagez cette analyse ?
Oui, tout à fait. Quand tu lis d'ailleurs les magazine de rock maintenant, ce sont des trucs de bobos, c'est pour ça que je me suis détaché de ce style. J'en écoutais beaucoup moins il y a une époque. A la base, je suis un grand fan des Doors, tu as donc là le truc ultime en terme de révolté. J'ai un tas de truc sur Jim Morrison, j'ai son recueil de poèmes... Et le rock s'est totalement écarté de cela.
Comment tu l'expliques ?
Je sais pas, c'est personnel. Les mecs sont trop partis dans le délire rock star, le fait d'être aimés... ils sont devenus trop individualistes. Ce ne sont plus des artistes mais des personnages. En fait, les rockers de maintenant ne sont pas intéressants. C'est que pour leur gueule.
Et on regrette encore les artistes rock qui s'engageaient, à monter des concerts géants pour embrasser une cause. Le Hip Hop a pu prendre le relais à un moment, après il s'est aussi à son tour embourgeoisé. Est-ce qu'en fait, devenir médiatisé, c'est la cause de cette situation, de cette perte d'identité et est-ce que finalement, la finalité d'un rock authentique c'est d'être dans l'underground ?
C'est tout à fait ça. Qui est le dernier grand rocker en France ? C'est Serge Gainsbourg ! En termes de comportement, c'était un vrai pirate. Après je peux te citer Bertrand Cantat mais bon... Il aurait pu. Aujourd'hui il y a plus rien. Il y avait la chanteuse de Niagara mais elle a arrêté, ça la saoulait. Elle en pouvait plus.
Et pourtant il y a d'autres groupes qui existent comme vous et on a l'impression qu'il ne faut pas dépasser le plafond de verre du mainstream pour ne pas perdre son authenticité... C'est difficile de trouver cet équilibre car vous voulez de la reconnaissance ?
Je me demande si c'est pas fait pour te bloquer. Quand tu passes dans une autre sphère, tu n'es plus crédible, les gens te lâchent. Je me demande si ce n'est pas fait exprès. Après il y a des exceptions, regarde tu prends un groupe comme Gojira, ils sont
mainstream mais droits. C'est un bon exemple merde c'est con !
Dans cet album, j'ai noté beaucoup d'effets au casque avec la stéréo, qui donnent l'impression d'être pris entre deux feux de bateaux pirates, cette immersion était ce que vous souhaitez apporter comme couleur à l'album ?
Oui, justement comme on a passé beaucoup de temps en studio, du coup on est revenu à quelque chose de classique avec une guitare à droite et une à gauche d'où cet effet stéréo. C'est quelque chose qu'on trouve de moins en moins et on voulait un truc vraiment brut de décoffrage. Il n'y pas d'instruments dupliqués.
Le son est presque live aussi...
Oui tout à fait, on avait envie de donner quelque chose de très dynamique. Il y a une continuité là-dedans.
Il y a semble-t-il un très gros travail sur les lignes de chant et ton interprétation, plus grave, plus maitrisée comme dans 'Black Skull', as -tu fait un travail particulier pour cet album ?
Oui, comme je te disais, on a passé deux mois en studio du coup j'ai énormément travaillé le chant avec le groupe. Il est différent du précédent album, on a beaucoup écouté les prises, il y avait des refrains qu'on refaisait, on a bossé à l'américaine. Au niveau des rythmiques il y a eu énormément de travail avec les paroles pour que ça sonne bien.
En tant que chanteur, ça demande beaucoup d'énergie, comment arrives-tu à canaliser tout ça ?
Le rhum (rires) ! Non, j'avais pris des cours de chant il y a quelque temps et surtout ça demande un travail important de respiration. C'est la base. Je chante beaucoup avec le ventre alors qu'avant c'était avec la gorge, c'est pour ça que je fatiguais très vite. J'ai donc un ton un peu plus grave. Il faut prendre au sérieux ces cours, les gens disent que c'est pour les beaufs... je me suis pété deux cordes vocales, crois-moi j'y suis allé très vite à ces cours.
La voix est donc un instrument à part entière ?
Carrément oui, avant les concerts je fumais et buvais énormément maintenant c'est fini, je fais ça après les concerts (Rires).
Les formats des chansons sont très courts, directs. Avez-vous songé à augmenter la durée des chansons ou bien c'était totalement un parti-pris de votre part ?
En fait, on a toujours fait dans le simple et efficace pour caractériser l'urgence. On s'est inspirés dans l'esprit de l'album de Slayer "Undisputed Attitude", un album de reprises punk dans lequel les chansons font 2 minutes. L'intro est démente, j'adore cet album.
Au départ, ce projet est un triptyque sur la piraterie.
Vous songez à explorer cette piste d'aller au-delà de cette urgence ou vous n'en sortirez pas ?
On ne sait pas, faut voir au niveau de l'inspiration et de ce qu'il en ressort. Au départ, ce projet est un triptyque sur la piraterie. On va voir. Sur cet album, il y a une chanson en français, peut être développer le truc qui serait alors plus revendicatif, ça s'y prête plus. On a des idées comme ça.
Dans cet album, et je vais parler du contexte, il y a un enchainement entre 'Echaffaud' et 'Haut et Court' qui instaure une sorte de dialogue entre la vindicte populaire et les condamnés à mort, les pirates qui font ce qu'ils font avec un certain code d'honneur. Est-ce que vous avez voulu traduire qu'à notre époque, le peuple manque de révolte et de solidarité ?
Oui tout à fait, et on a voulu mettre en opposition avec le pirate et sa liberté perdue. Il a voulu vivre ce qu'il voulait à mille pour cent. Il s'est amusé, pillé, vécu libre... Il est mort libre et ceux qui le conspuent en fait ce sont eux les prisonniers d'un système.
Il y a toujours une fascination pour les pirates chez les gamins, les gens, vis-à-vis des grands gangsters aussi... une sorte d'admiration pour ces gens là, et pourtant les gens sont bloqués ?
Peut-être qui s'ils se révoltaient, il y aurait moins de gens comme ça. Je pense que la révolution ne va pas tarder à arriver. L'Etat fait ce qu'il faut pour ça n'arrive pas, tu le vois dans la répression. A l'époque, il n'y avait pas toute la com' qu'il y a maintenant. Les médiras instaurent la peur, ne pas sortir, avec le décompte des morts.... maintenant ils le font moins car ils se sont aperçu que les gens mordent moins à l'hameçon. Il manquait plus que la musique de Barry Lindon.
A qui s'adresse cet album qui semble plus varié que le simple heavy metal ?
Un peu à tout le monde en fait : il y a du punk hardcore avec 'Nerver Surrender' ou 'Black Skull', du thrash avec ' Stay in Course', plus metalcore avec 'Reing in Rum'...
Justement, elle vient après 'Resistance', il y a presque un sentiment d'espoir dans cette chanson...
Oui, elle est un peu mélancolique. En fait c'est comme terminer l'album sur une forme d'apéro géant. Elle fait un peu comme un au revoir. On boit tous un grand coup et ça ira mieux la prochaine fois.
Il va y avoir une suite, est-ce qu'elle est déjà bien avancée ?
Non pas du tout, on va faire ça à l'arrache, on n'arrive pas à travailler tranquille et mieux dos au mur. C'est la vie, on travaille mieux dans l'urgence.
Qu'est-ce que vous attendez de cet album ?
Gloire et argent (Rires) !
Pour payer du rhum...
C'est ça, mais bon on est équipé pour un an, là (Rires) !
Gloire et argent mais pas trop pour ne pas devenir mainstream..
Oui, juste ce qu'il faut, mais sérieusement montrer aux gens qu'on est de retour, au même niveau qu'il y a une dizaine d'années, qu'ils partagent nos live, notre musique.
Est-ce que je termine par la question que tu aurais aimé qu'on te pose ?
Alors là je vais sérieusement y réfléchir pour la prochaine fois, pour celle du triptyque, promis (Rires) !
Merci à toi
Merci c'était cool !