Retour avec deux des têtes pensantes de l'inclassable projet Hypno5e qui album après album continue de tisser une discographie d'une beauté et d'une richesse rare...
Seconde interview du groupe depuis 2016 avant votre passage sur la scène du Trabendo avec nos amis de Psykup et depuis plus rien ne semble vous arrêter avec un deuxième dont vous faites la promotion aujourd’hui de "A Distant (Dark) Source". Comment expliquez-vous une telle activité ? "Shores of the Abstract Line" a-t-il été un déclic dans la carrière du groupe ?
Jonathan Maurois : En ce qui me concerne, je ne fais pas partie du
line-up d’origine, "Shores of the Abstract Line" a été le premier album où j’ai véritablement pris part à la composition. Je pense qu’on se cherchait, on a testé des choses comme enregistrer à l’étranger…
Entre-temps, on a appris à travailler ensemble et c’est le véritable changement ! Avant, Manu travaillait beaucoup avec Thibault (NdStruck : Thibault Lamy) l’ancien batteur…
Et suite aux échecs de mixage pour "Shores of the Abstract Line", je me suis impliqué dans l’enregistrement et on a décidé de faire un maximum par nous-mêmes. A travers "Shores of the Abstract Line", j’ai appris les erreurs d’enregistrement et on a gagné du temps et désormais, nous avons une méthode qui fait que nous allons plus vite maintenant dans la composition mais également dans l’enregistrement.
Il a vraiment fallu à apprendre à travailler ensemble
Tu es en train de nous dire que le déclic, c’est toi ?
(Rires) Non… car il faut également savoir qu’entre "Acid Mist" et "Shores of the Abstract Line", j’étais déjà présent et ça avait pris du temps. Mais je ne savais pas comment faire… Non, il a vraiment fallu à apprendre à travailler ensemble et c’est un des facteurs ! Et ensuite, il y a notre propre engouement par rapport à l’évolution du groupe et sa professionnalisation !
Nous avons envie de produire plus et mieux pour notre public !
Justement comment vivez-vous la reconnaissance avec vos albums précédents et notamment avec “Shores of the Abstract Line” ? Est-ce que cela a modifié votre manière de composer ?
Non, je ne pense pas. Cette professionnalisation fait qu’il y avait plus de gens qui travaillent pour le groupe, qui donnent des
deadlines et mettent des pressions au niveau de l’enregistrement… Je pense qu’il y a un conditionnement à ce niveau… En revanche, par rapport au public et son retour, je ne pense pas que cela ait influencé. Nous avons envie de produire plus et mieux pour notre public afin de le retrouver le plus rapidement possible !
Vous avez qualifié votre album “Shores of the Abstract Line” d’errance métaphysique, est-ce le cas de celui-ci aussi ?
Manu a imaginé sur ses repérages en Bolivie autour du lac Tauca qui se serait asséché il y a plus de 15.000 ans et il a imaginé un scénario, l’histoire de cet album qui imagine quelles ont été les civilisations qui vivaient autour de ce lac à l’époque et plus précisément le retour des spectres le temps d’une nuit, et la source qui reviendrait sur ce désert de sel asséché…
Du coup, c’est un personnage qui se retrouve face aux spectres cette nuit et derrière cela, il y a une histoire d’amour à savoir que le personnage serait en quête d’un amour perdu dans ces spectres. On retrouve donc une nouvelle fois un personnage en errance, seul… et c’est représentatif de la bête qui compose un peu tout ça (Sourire)…
Notre façon de travailler est improbable et pas du tout académique !
Justement, comment un musicien comme toi fait pour s’approprier des histoires aussi personnelles ?
J’ai une réponse toute trouvée : avant de jouer avec Hypno5e, c’était mon groupe préféré ! J’ai atterri dans ce groupe parce que nous avions le même ingé son. J’avais mon groupe de metalcore à Avignon et mon ingé son s’occupait également d’Hypno5e. J’ai découvert ce groupe et ce fut la claque : pendant 2 ans, je n’écoutais plus que ça ! C’est un univers qui m’a touché, la recette était formidable et donc du coup, quand je suis rentré dans Hypno5e, c’était un petit rêve, très flippant au début et je me suis retrouvé à jouer ‘Maintained Relevance Of Destruction Part II’ avec la voix lyrique de l’album "Des deux l'une est l'autre" et je me disais que j’étais en train de jouer mon morceau préféré !
Donc, avant même d’être dans le groupe, ce concept me touchait et j’en ai fait le mien avec Manu et aujourd’hui, la création se fait essentiellement tous les deux au niveau de la compo : on se rejoint à la maison, je fais tous les enregistrements, il fait toutes les guitares parce que je serais incapable de trouver les harmonies en direct en studio… Notre façon de travailler est improbable et pas du tout académique ! Du coup, comme je suis là à tous les moments, cela me permet de participer à la création de l’univers et donner mon avis à Manu : c’est complétement épanouissant même si je ne fais pas de compositions en amont…
A propos de composition, certains avaient reproché à "Alba - les Ombres Errantes" de s’éloigner du style classique de Hypno5e, est-ce que c’était votre intention d’évoluer vers d’autres choses ?
Finalement, "Alba" est la suite logique de "A Backward Glance On A Travel Road" qui est le
side project du même nom. "Alba" est donc le deuxième album et la réunification de A Backward Glance On A Travel Road et Hypno5e.
Pourquoi garder séparer ce projet séparé alors qu’on retrouve tout l’univers d’Hypno5e ? Ça avait du sens que A Backward Glance On A Travel Road devienne Hypno5e acoustique. Pour moi, ce n’est pas si éloigné que ça - si ce n’est qu’il n’y a pas la partie metal - sinon on retrouve avec les samples, le côté cinématographique…
Ce passage était-il obligé pour continuer d’évoluer ?
Ce projet ne commence pas par "Alba" mais par le premier album éponyme de A Backward Glance On A Travel Road qui date de 2011. Ce projet existait avant même que j’intègre Hypno5e et Manu tenait à réaliser ce projet acoustique.
Du coup, je ne pense pas que la composition de "Alba" ait influencé ce nouvel album puisqu’il y a une évolution perpétuelle, classique… on oublie la méthode qu’il y avait avant et ce sont les nouvelles influences, les nouvelles méthodes de travail qui nous mènent… et l’imprévu : la composition est menée par l’imprévu, on ne réfléchit pas forcément !
Après, le fait d’avoir enregistré "Alba" qui est plus chanté va se retrouver sur les parties claires d’Hypno5e.
Votre album est composé de cinq chansons, dont certaines font presque vingt minutes, c’est dire que dorénavant vous êtes un groupe de prog ?
Je ne comprends pas grand-chose aux étiquettes metal et je ne pourrais pas te contredire surtout si ta définition du prog sont des morceaux longs… et effectivement pour notre part, nous tendrions plus à composer un morceau qui ferait la durée de l’album mais nous ne pouvons pas nous le permettre parce que ce n’est pas marketing : il faut qu’un album puisse se découper pour pouvoir être pratique à écouter… même si en ce qui concerne cet album, il faut écouter tous nos albums en entier : c’est un ensemble !
Toutefois, le son de ce nouvel album semble plus brut et sans fioriture : est-ce que c’était votre intention ?
Nous sommes toujours dans la recherche d’avoir le son le plus puissant et à la fois, sur les passages clean garder cette puissance mais le travail sera différent que celui sur la partie metal moderne. A cet égard et comme tout le monde, nous sommes à la recherche du meilleur mixage, mastering… Et comme on l’a dit, avec l’expérience, on sait comment faire une prise plus propre, et l’acquisition de nouveaux matériels… joue sur le changement de son !
Aujourd’hui, je suis pleinement satisfait de notre façon de faire et je ne m’imagine pas faire autrement.
Comme tu l’as dit, cet album appuie encore plus les contrastes musicaux (comme du post-rock ou du post-metalcore), encore le doux (acoustique) et le brutal (metal), est-ce nécessaire dans votre musique ces contrastes, ces différentes ambiances pour retranscrire les émotions de l’histoire ?
Ce contraste est la recette qui m’a plu dès le départ dans Hypno5e : cette confrontation entre l’extrême violence et la mélancolie ! C’est ce qui m’a touché et c’est ce que j’aime dans tout ce que j’écoute : une voix fluette et quelque chose de puissant…
J’aime cela et je pense que c’est inséparable maintenant ! Il y a peut-être certains morceaux qui ne sont que metal et encore, si on part du principe qu’un album est un seul morceau, on ne peut pas séparer…
Aujourd’hui, je suis pleinement satisfait de notre façon de faire et je ne m’imagine pas faire autrement. Après le projet A Backward Glance On A Travel Road est un projet auquel j’ai adhéré plus tard. La musique ne me touchait pas forcément au départ. Mais c’est une fois sur scène, impliqué dedans, que j’ai appris à l’aimer et que je l’adore aujourd’hui. Mais finalement, ma recette préférée reste Hypno5e !
Nous sommes perpétuellement dans la recherche de nouveauté
Il semble qu’il y ait plus “d’expérimentations” sur cet album (instruments et sonorités), car vous avez intégré des instruments inhabituels, est-ce que c’était votre volonté d'explorer de nouvelles pistes, une remise en question ou juste pour coller au concept ?
Je pense que nous sommes perpétuellement dans la recherche de nouveauté et puis des projets comme "Alba" nous montrent qu’on peut se permettre d’aller là où on ne s’attendait pas aller : comme par exemple, faire un ciné-concert -avec notre public plutôt métalleux- on se dit que ça ne va pas forcément marcher et on a eu des retours super positifs sur les quelques représentations qu’on a faites… Du coup, on se dit qu’on peut faire ce qu’on a envie de faire ! On ne s’empêche rien, comme intégrer des passages plus pop à la Calogero et on assume totalement ces choix : personnellement, ça ne me choque pas et finalement, c’est ce qui créé la nouveauté !
On ne s’empêche rien comme intégrer des passages plus pop à la Calogero
et on assume totalement ces choix : personnellement, ça ne me choque
pas et finalement, c’est ce qui créé la nouveauté !
Et ça a toujours été le cas dans Hypno5e justement…
Exactement ! Il y a eu le côté hispanique à partir de "Acid Mist Tomorrow" et surtout sur "Shores of the Abstract Line", c’est le côté Amérique du Sud de Manu : c’est toute sa jeunesse et ses influences musicales !
C’est ce qui a fait changer la couleur d’Hypno5e au cours du temps jusqu’à arriver à ce qui se passe maintenant, qui est finalement loin de "Des deux l'une est l'autre" -une ambiance que j’adore- j’ai envie de dire que c’est presque un autre groupe finalement ! Nous avons évolué : nous ne faisons plus la même chose. Ce n’est plus la même ambiance : ce n’est plus aussi froid même si ça reste mélancolique ! L’ambiance de "Des deux l'une est l'autre" était plus lourde voire glauque et ça a un peu disparu…
Le groove est très important, ainsi que la puissance, les blasts beats, comme si l’aspect direct s'opposait et complétait les constructions élaborées ou plus planantes, comment avez-vous réussi à mélanger tout cela et rendre le résultat homogène et avoir un public sans cesse grandissant ?
(Rires) Concernant le succès que tu évoques, on va dire que la complexité de notre musique fait qu’elle reste une musique de niche ! Déjà que le metal est une niche musicale… A l’époque, nous avons galéré pour trouver un label parce que nous ne collions pas aux standards mais effectivement, nous avons une base de fans qui grandit !
Quant à l’homogénéité (Rires)… Nous n’avons pas de limite : il faut essayer comme par exemple, sur une partie de mosh part de metalcore simple mettre un piano ou une flûte… et ça marche bien !
Et au contraire arrive-t-il qu’il y a des mélanges qu’il ne fallait pas faire ?
(Rires) Au moment de la composition, nous sommes notre premier public… Même si cette pensée est présente, savoir ce que pense notre public est secondaire, nous cherchons vraiment à ce que notre musique nous plaise avant tout !
Emmanuel, tu arrives au bon moment. On se demandait s’il y avait des mélanges que vous avez essayé et que finalement, nous n’avez pas gardé parce qu’il ne fallait pas ?
Emmanuel Jessua : Oui, bien évidemment, c’est arrivé (Rires) !
Et avez-vous été confrontés à des difficultés particulières sur cet album ? Aviez-vous des attentes et des challenges lors de l’enregistrement de cet album par rapport au précédent ?
Emmanuel : Je trouve que cet album a été assez facile à composer, ça a été assez fluide ! Ce fut très instinctif !
On revient à ce que nous disions au début de l’interview à savoir que si la musique de Hypno5e semble si fluide aujourd’hui, c’est grâce à Jonathan…
Jonathan : (Rires) Hypno5e, c’est moi (Rires) ! Non mais encore une fois, nous avons appris à travailler ensemble et nous avons trouvé une méthode qui marche et que nous perfectionnions un peu plus à chaque fois…
Si une musique me touche, c’est qu’elle est mélancolique !
Votre musique est souvent qualifiée de mélancolique ou de mystique : même si vous n’aimez pas les étiquettes est-ce que cette définition vous convient ? Est-ce que la musique en général, doit être selon vous mélancolique pour créer des émotions ?
Emmanuel : En tous cas, c’est ce qui m’anime dans la musique. Il faut qu’elle suscite en moi une nostalgie ou une mélancolie, il faut qu’elle éveille quelque chose en moi, qu’elle réveille un souvenir… Si une musique me touche, c’est qu’elle est mélancolique !
La nostalgie, la mélancolie et notamment celle de ton enfance est donc la source d’inspiration première d’Hypno5e ?
Emmanuel : Ce n’est pas forcément lié à une nostalgie concrète : je parle souvent de la Bolivie mais ce n’est pas forcément lié !
C’est plus le processus de la mélancolie qui m’intéresse c’est-à-dire que quand je compose j’ai toujours tendance à vouloir être là où je ne suis pas (Rires) : j’ai donc toujours ce sentiment qu’il me manque un élément, un espace que j’ai croisé et donc effectivement, on revient souvent à la Bolivie. Et mettre cela en musique me permet de faire exister cet espace ou cette mémoire : ça permet de la refaire ré-exister le temps du morceau !
Et Hypno5e sans ce sentiment de nostalgie de la Bolivie notamment serait possible ?
Emmanuel : Bien sûr !
Jonathan : Je pense qu’Hypno5e en joyeux n’est pas possible ! Je me suis rendu compte que depuis mon plus jeune âge, tout ce que j’écoute se ressemble, tout tourne autour de la mélancolie et c’est pour ça que j’ai accroché à Hypno5e. Je me rends compte que ce sont les mêmes gammes qui me touchent.
Alfred de Musset, Guillaume Apollinaire (“La Jolie Rousse”, quel lien avec la source sombre distante) sont cités dans votre musique, pourquoi ces poèmes ? Quels sont les autres poèmes cités et pourquoi ? Comment choisissez ces extraits ?
Emmanuel : Quand nous commençons à composer -en général Gredin notre bassiste et moi-même- nous savons à peu près où nous allons, vers quel univers… et on va avoir des lectures, voir des films, des interviews, écouter des extraits de lecture… on va chercher telle ou telle phrase parce qu’elle a une musicalité qui nous intéresse, la voix nous intéresse ou encore le sens nous plaît…
On fait une sorte de bibliothèque qu’on va utiliser pendant les compositions et l’idée est vraiment de sortir des phrases de leur contexte et les faire dialoguer avec d’autres samples et de créer vraiment un dialogue…
Cela créé un univers vraiment cinématographie et nous revenons à la question que nous avons abordée tout à l’heure : avez-vous pensé à faire une bande originale pour un film ?
Emmanuel: Ah oui, oui, oui…. Si un jour, un réalisateur intéressant nous propose de faire une bande originale, je signe de suite ! Je travaille pour les documentaires et le théâtre et c’est ce que nous avons fait pour Alba.
Justement, tu as réalisé le film d’Alba, tu te vois suivre les images déjà existantes pour composer ta musique ?
Emmanuel : Je le fais déjà dans mon métier et c’est ce que nous avons toujours voulu faire avec Hypno5e. Il y a des contraintes bien évidemment mais j’imagine que si un réalisateur vient nous voir c’est pour que nous lui fassions du Hypno5e…
J’aime quand les choses sont gardées secrètes et que des questions restent sans réponse...
Finalement, est-ce que vous êtes conscients que vous êtes un groupe à part ? Que vous suscitez pas mal de questions ? Et que vous êtes entourés d’une aura mystérieuse ? Est-ce que vous voulez finalement vous cacher derrière ce mystère ?
Emmanuel ; Je sais que je ne suis pas un grand communiquant et si je dois communiquer pour Hypno5e, ce sera de façon très réduite et on va dévoiler peu de choses. J’aime quand les choses sont gardées secrètes et que des questions restent sans réponse. Et puis, cela fait partie des atmosphères qu’on développe dans notre musique et nos concerts mais ce n’est pas forcément voulu : c’est naturel…
Et ce n’est pas trop dur de côtoyer une telle personne ?
Jonathan : (Rires) Ça a ses difficultés ! Il faut suivre le même rythme… Et pour répondre à ta précédente question, ça créé un contraste parce que j’ai plutôt tendance à être proche du public, à vouloir partager un maximum d’informations… Du coup, on peut débattre ensemble pour savoir ce que nous souhaitons faire : quelle information on peut partager… car ça peut être un choix de vouloir garder certaines choses mystérieuses…
Tu parlais de public : avez-vous conscience de l’appréhension de votre musique par le public en concert qui parfois se laisse aller en fermant les yeux ?
Emmanuel : Tout à fait ! On en d’autant plus conscience que c’était difficile au début ! Aujourd’hui, on sent qu’il y a une écoute : on peut se permettre d’avoir des longueurs, de prendre le temps de déployer les choses… il y a une réelle écoute, il n’y a pas d’impatience…
Au début, les gens s’impatientaient et on avait droit à des "A poil !" (Rires)… Et effectivement, je constate de plus en plus cette disponibilité des gens et c’est super appréciable !
Jonathan: Que ce soit sur vidéo a posteriori ou même sur scène directement et c’est encore plus fort car quand je vois des têtes de gens en train de
tripper, il y a une vraie communication, un vrai transfert…
Merci
Merci à vous !
Merci à Thibautk pour sa contribution...