Pour la sortie de "Paragon", l’excellent nouvel album d’Uneven Structure, nous avons rencontré Igor Omodei, Arnaud Verrier et Mathieu Romarin qui nous ont parlé de l’évolution du groupe et de sa musique.
Nous avions rencontré Igor en 2017 pour la sortie de "La Partition" et nous avions fini l’interview par la question traditionnelle de Music Waves, à savoir quelle question tu aurais aimé que je te pose. Tu n’avais pas su répondre donc Igor, as-tu fait tes devoirs et as-tu aujourd’hui une réponse à cette question ?
Igor : Oui, la question que j’aurais aimé que tu me poses est : quel est le nom du prochain album que vous sortirez ?
Tu t’en tires bien ! Uneven Structure est passé de sextet à quatuor. Steeves Hostin est parti chez Betraying The Martyr et Jérôme Colombelli a fondé God’s Empire. Comment le groupe a-t-il géré ces départs ?
Igor : Tout naturellement. Jérôme a été très pro, il nous a prévenu bien avant son départ. Il a fini la tournée avec nous, puis ça s’est fait naturellement. Avec Steeves, ça a été plus direct. Mais quand Betraying The Martyr toque à ta porte pour te proposer une place dans leur groupe, la question ne se pose pas.
Et si la question se posait à toi ?
Igor : Moi, c’est différent. Uneven Structure est mon groupe.
Steeves avait également son groupe avec Beyond The Dust.
Igor : Oui mais, au-delà de composer, je pense que Steeves voulait tourner et avoir une grosse expérience de groupe, quelque chose qui bouge. Steeves a une énergie folle, il lui faut un groupe qui bastonne. Betraying The Martyr est exactement ce qui lui faut.
Dans quelle mesure ces départs ont-ils affectés la musique de Uneven Structure et la composition de "Paragon" ?
Igor : Steeves et Jérôme ont quitté le groupe en fin de cycle de "La Partition", on n’avait pas commencé à composer "Paragon". Donc on a rebondi et on a composé avec le groupe actuel.
Tu nous avais dit en 2017 que l’arrivée de Steeves vous permettait de jouer sur scène avec moins de samples. Donc vous revenez sur scène aujourd’hui à la configuration d’avant ?
Arnaud : Il y avait toujours eu plusieurs guitaristes dans Uneven Structure. Steeves avait remplacé le troisième.
Igor : Oui, avant on avait trois guitares et des samples et maintenant on a une guitare et des samples mais moins de samples et plus de guitare. En fait nous avons réarrangé les morceaux des albums précédents pour les jouer live, ce qui nous a également permis d’enlever des choses superflues qui n’étaient pas directement liées à la lisibilité de notre musique ni au plaisir d’écoute sur scène. On a pu constater, sur les derniers concerts pour lesquels on n’était que quatre sur scène, que les morceaux, notamment ceux de "La Partition" étaient beaucoup plus clairs et plus lisibles que sur l’album.
Donc finalement des arrangements plus taillés pour la scène ?
Igor : plus taillés pour la scène et plus clairs dans le propos.
On s’est affranchi de pas mal de barrières et la composition du nouvel album a été beaucoup plus facile.

"Paragon" sort seulement deux ans après "La Partition". Nous avions été habitués à attendre plus longtemps entre deux albums. Cet album a-t-il été plus facile à composer ?
Arnaud : "La Partition" était un album très intense sur tous les plans : sa conception, sa sortie, la tournée d’un an qui s’en est suivie. Nous avons vécu plein de choses au niveau personnel et professionnel en bien comme en mal. Ça nous a permis d’apprendre énormément et nous avons eu envie de faire table rase et de repartir sur des bases issues de toutes les leçons que nous avons tirées des albums précédents. Ça donne un album plus direct pour lequel nous avons fait beaucoup moins de concessions et pour lequel nous nous sommes posé beaucoup moins de questions. En fait la plupart des contraintes du passé, nous nous les sommes mis nous-mêmes. On s’est donc affranchi de pas mal de barrières et la composition du nouvel album a été beaucoup plus facile.
Igor : Oui, ça a été beaucoup moins douloureux. Déjà le fait d’avoir un début et une fin pour chaque morceau aide beaucoup à leur composition.
"La Partition" était un album concept. Ce n’est pas le cas de "Paragon" ?
Igor : C’est un album concept. Mais avec plusieurs facettes et des morceaux bien identifiés. Et le fait de me lever le matin et de me dire que si je commence à composer un morceau, il sera terminé le soir s’il est validé donne une réelle sensation d’avancer, plutôt que d’être dans un marasme bizarre où on ne sait jamais trop ce qu’il va se passer. Je pense que nous avons beaucoup de choses à dire musicalement. Mais "La Partition" était comme une peinture sur laquelle on a peint, repeint et repeint encore. Cela donne une structure très intéressante mais le résultat final n’est pas forcément aussi clair qu’un premier jet.
Vous avez été trop perfectionnistes sur "La Partition" ?
Igor : Oui, on aime beaucoup cet album mais son écoute n’est pas facile. Nous en avons conscience.
Dans notre précédente interview en 2017, tu nous avais dit que tu aspirais à te sentir libre musicalement sans réfléchir à ce que pensent les gens. As-tu réussi ce challenge ?
Igor : Clairement oui. Si j’ai réussi une chose sur ce nouvel album, c’est ça.
Il fallait donc en passer par "La Partition" pour arriver à une écriture plus spontanée ?
Igor : Oui, "La Partition" nous a ouvert à des éléments de composition, à des façons de penser notre musique.
Matthieu : On s’est fabriqué des outils supplémentaires grâce à "La Partition", des patterns qu’on n’utilisait pas du tout avant et qui se retrouvent dans "Paragon " mais qui sont utilisés plus finement et à meilleur escient.
On s’est posé pas mal de questions, on a même évoqué le fait de créer un nouveau groupe.

Les titres portent tous le nom d’un qualificatif humain (‘Magician’, ‘Hero’, ‘Innocent’ etc) et ces qualificatifs sont presque tous positifs alors que "La Partition" était une tragédie. Votre état d’esprit a-t-il changé à ce point en 2 ans ?
Arnaud : Il y a eu un clivage avec "La Partition". On a été pris dans un tourbillon où tout se passait en même temps, où on n’avait pas vraiment de prise sur les événements. On a dit stop. On s’est posé pas mal de questions, on a même évoqué le fait de créer un nouveau groupe.
Ah oui ? Pourquoi en êtes-vous arrivés là ?
Arnaud : En fait nous nous sommes demandé si c’était vraiment la direction que nous voulions prendre. Partir d'une page blanche pouvait être très excitant. Mais on s’est rendu compte qu’on pouvait repartir d’une page blanche tout en restant Uneven Structure. Et ça s’est concrétisé avec Igor qui a commencé à nous envoyer les premiers jets des compositions. A partir de là, on a vraiment pris conscience qu’on n’avait pas d’autres obligations que celles qu’on se devait à nous-mêmes et tout a été beaucoup plus clair. On a réussi à avancer par étapes de façon plus efficace et plus ordonnée alors que pour "La Partition", tout était plus chaotique. Pour "Paragon", on a pris plus de recul et tout s’est mieux enchainé : composition, studio, enregistrement des titres en République Tchèque, voix, mixage, mastering. Tout s’est passé de façon ordonnée et naturelle.
Quel a été le déclic pour amorcer cette démarche plus professionnelle et moins artisanale ?
Matthieu : On ne voulait plus souffrir comme on a souffert pour composer "La Partition". Six ans de composition, c’était trop long et au bout d’un moment, on s’est pris la tête et on s’est perdu.
Igor : Du coup, deux morceaux sont sortis très vite, ‘Jester’ et ‘Creator’, et on s’est dit qu’on avait trouvé une manière de travailler plus efficace.
Le dernier titre est intitulé ‘Everyman’. Est-ce à dire que chaque homme peut être la somme de tous les qualificatifs qui donnent leurs titres aux autres morceaux de l’album ?
Matthieu : ‘Everyman’ est un personnage à part. Le qualificatif commun est plutôt le titre de l’album. Le "Paragon" est l’archétype qui représente tous les archétypes et ‘Everyman’ est un archétype à part entière.
"La Partition" racontait l’histoire de quelqu’un qui se noie. Uneven Structure était donc également proche de la noyade et risquait d’en mourir ?
Igor : Si on ne s’était pas mis un bon coup de pied dans le fondement, je pense effectivement qu’on serait passé à autre chose. Mais ça aurait été bête de tout gâcher juste parce qu’un album a été plus difficile qu’un autre à réaliser.
Arnaud : On avait besoin de regarder autre chose que nos pompes, de lever les yeux et de voir ce qu’on avait envie de faire et retrouver notre souffle. On était tous conscients d’avoir encore beaucoup de choses à dire mais il fallait retrouver l’énergie et la manière de les dire. Et surtout arrêter de se poser des questions en se reposant sur nos bases, sur les process qui fonctionnaient déjà. C’est vrai que chez Uneven Structure, il y a une quête d’originalité et de ne rien faire comme les autres.
Oui mais est-ce que vous n’avez pas poussé cette quête à l’extrême ? Personnellement, je suis fan depuis le début mais je ne me suis pas retrouvé dans "La Partition" et encore moins sur scène.
Matthieu : Oui, d’ailleurs on s’est dit entre nous que l’album était un peu prétentieux, qu’on était allé trop loin en pensant un peu trop à nous.
Justement, "Paragon" est plus accessible, moins dense que "La Partition" avec des titres globalement plus courts. Est-ce que c’était le passage obligé pour y revenir ?
Igor : C’était peut-être pour se libérer. Pour "Februus", on a eu des retours tellement positifs, c’était génial mais ça nous a mis une pression monstre.
"Februus" n’avait pas été réfléchi et je devais pourtant réfléchir à un album qui soit aussi bien. C’était vraiment flippant.

Vous avez pris la grosse tête après "Februus" ?
Igor : Au contraire, ça m’a mis vraiment dans le doute. "Februus" n’avait pas été réfléchi et je devais pourtant réfléchir à un album qui soit aussi bien. C’était vraiment flippant.
Pourtant "La Partition" était vraiment différent.
Igor : En fait c’était la solution de facilité. Pour ne pas avoir à faire face à la comparaison, on a fait un album complètement différent.
Pourtant tu viens de dire que "La Partition" n’a pas été facile du tout.
Igor : Oui, au départ c’était une bonne idée, mais on s’est vite rendu compte qu’on s’était très mal démerdé (rires).
"Paragon" sonne comme la synthèse des albums précédents, synthèse des riffs massifs de "Februus" et des ambiances atmosphériques de "La Partition". Comment voyez-vous l’évolution de la musique du groupe ? Est-ce que "Paragon" tire tous les enseignements des albums précédents ?
Matthieu : Clairement oui. Nous commençons à savoir ce que nous faisons le mieux. Et nous essayons de rester dans les choses que nous faisons bien et avec lesquelles nous sommes à l’aise.
Arnaud : En fait, on a compris qu’on avait plein de choses à dire avec ce qu’on savait déjà faire et qu’on serait beaucoup plus efficaces en se recentrant sur nos fondamentaux sans chercher l’originalité à tout prix.
Est-ce que vous avez aussi tiré les enseignements de la réaction du public ? Pour les concerts liés à "La Partition", le public était par la force des choses moins dans l’échange et plus dans le contemplatif.
Igor : Ce n’est pas aussi simple que ça. Après "Februus", on a fait trois ou quatre années de concert où personne ne bougeait. Après "La Partition", on a fait deux ans de concert pendant lesquels les gens bougeaient sur "Februus" et ne bougeaient pas sur "La Partition". Et sur les derniers concerts qu’on vient de faire, le public était vraiment réceptif aux titres de "La Partition". Notamment pour la tournée avec Twelve Foot Ninja qui a été bookée à la dernière minute, on a été exposé tous les soirs à un public qui ne nous connaissait pas et la réaction a vraiment été très positive. C’est à ce moment-là que des gens sont revenus vers nous en nous disant qu’ils nous avaient découverts avec "La Partition" et qu’ils adoraient cet album.
Ce mot [djent] devrait être interdit !

La grande particularité d’Uneven Structure est de travailler sur les ambiances. Dans notre chronique de "La Partition", nous avions parlé de post-djent. Est-ce un qualificatif qui vous convient ?
Matthieu : Absolument pas (rires)
Arnaud : Ce mot devrait être interdit ! Ce qui nous conviendrait le mieux, avec tout le respect dû, ce serait de ne plus être assimilé à une scène ou à un style en particulier. Nous avons tous les quatre des influences très différentes et nous respectons toutes les musiques, sauf le reggae (rires). Nous voulons juste faire de la musique.
Vous n’êtes pas les premiers. Pourquoi les groupes de la scène dite djent que nous interviewons renient-ils aujourd’hui ce qualificatif ?
Arnaud : On ne renie pas mais ce n’est pas le style qui convient à notre musique.
Matthieu : Surtout que nous avons plein d’influences. Même s’il reste encore des petites traces de djent dans notre musique, c’est très réducteur.
Pourtant des titres comme ‘Hero’, ‘Outlaw’, ‘Jester’ sont encore typés djent.
Igor : ‘Hero’ non. C’est un morceau plus influencé par Karnivool. C’est du groove mais pas du djent.
Karnivool, c’est du metal prog et les derniers meilleurs groupes metal prog sont des groupes djent. Aujourd’hui la frontière entre metal prog et djent est très ténue.
Igor : Ca dépend de ce que tu inclues dans le djent. Plein de gens censés jouer du djent jouent en fait du metalcore déstructuré.
Donc c’est plus ce à quoi le djent fait référence qui dérange, c’est-à-dire le jeune qui compose dans sa chambre ?
Igor : Tu as l’âge pour avoir vu le neo-metal naître et mourir. Au début, le neo, c’était des groupes de « ouf » et à la fin, c’était des groupes montés par les majors, complètement ridicules, qui essayaient de grappiller ce qu’il restait du neo. A la fin de la période neo-metal, si tu avais demandé à n’importe quel groupe des débuts s’ils se revendiquaient encore de cette scène, ils t’auraient répondu non, parce que le genre était surexploité à des fins mercantiles. C’est pareil pour le djent qui est aujourd’hui la musique la plus facile à faire avec un ordinateur.
Arnaud : En effet, ça renvoie l’image du guitariste autoproduit dans sa chambre qui va utiliser les plugins qu’on connait tous.
Pour moi, le djent est une version du metal progressif ni plus ni moins et ça n’a rien de péjoratif. C’est amusant, tous les groupes issus de cette scène ne voient aujourd’hui que le côté péjoratif. Je trouve ça dommage.
Arnaud : Le problème, c’est tout ce à quoi le djent a été assimilé.
Igor, dans notre interview de 2017, tu nous avais dit que pour ce nouvel album, tu allais peut-être creuser le style rock grunge de Soundgarden, Alice In Chains ou faire du black metal.
(Fou rire général)
Igor : J’en étais à mon septième pastis, ou je ne voulais surtout pas prendre de risque.
Il y a plusieurs instrumentaux sur l’album dont deux (‘Caregiver’ et ‘Sage’) qui sonnent clairement metal indus avec une influence Nine Inch Nails, est-ce une de vos influences ?
Matthieu : C’est clairement une influence sur ces deux morceaux. Il y a des petits trucs directement inspirés de Trent Reznor.
Igor : Oui, très inspiré même. Tout ce qui est harmoniques, progressions, les trucs qu’il utilise. C’est complètement fou ce qu’il fait. Il a son truc à lui et c’est tellement intéressant à développer. Il y a tellement de génie et de finesse dans ce qu’il fait que ça force le respect.
Les clips de Uneven Structure sont très travaillés. On sait que la place de l’image est très importante dans le groupe. Uneven Structure pourrait-il exister sans toute l’imagerie qui va avec ?
Igor : Peut-être. On aurait juste une image différente. Mais j’adore mettre des images sur les sons. Je vois des images quand je compose. Je vois des couleurs, des situations, des interactions. C’est un plaisir de tourner des clips, écrire des scénarios. Ça fait du bien. Pour le clip d’’Outlaw’, on ne savait pas ce qu’on allait faire trois jours avant le tournage. On revenait d’une date en Angleterre et on a écrit le scénario en une après-midi dans le van sur le trajet retour. Le lendemain matin, on a prospecté les modèles. L’image est mon travail. D’ailleurs le fait d’avoir des deadlines précises avec mon entreprise m’a permis d’envisager différemment ma façon de composer de la musique.
Qu’attendez-vous de cet album ?
Matthieu : Partir sur les routes mais aussi vers des terres inconnues. On a pas mal tourné en Europe ces dernières années et ce serait bien de découvrir d’autres endroits.

Et quels seraient les endroits rêvés ?
Matthieu : On nous a fait des propositions qu’on n’a pas pu concrétiser pour l’instant : les Etats-Unis, l’Inde, Israël, l’Amérique du Sud, le Népal.
Arnaud : Oui et retourner en Russie. D’une façon générale, présenter notre musique à des gens qui ne la connaissent pas.
Rendez-vous dans deux ans pour le prochain album ?
Arnaud : Dans trois semaines ! On est sur une courbe exponentielle. (rires)
Igor : En tout cas, rendez-vous début d’année prochaine sur la route.
Merci beaucoup
Merci à vous !