Et c'est un Robb Flynn très décontracté qui s'est allongé sur le divan de Music Waves pour se livrer sans aucune retenue notamment sur sa vision et l'évolution de la scène metal...
Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée ?
(Rires) Hum, je dirais "Quelle est la signification de cathartique ?" Et tu peux la poser, ça me convient.
On l'abordera en effet. Mais concernant ton précédent album, "Bloodstone and Diamonds", sorti en 2014, celui-ci semblait être à l'origine d'une nouvelle ère : la signature avec Nuclear Black et un nouveau pas après la trilogie faite de "Through the Ashes of Empires", "Blackening" et "Unto the Locust". Avec ce dernier, on dirait que vous fermez un chapitre. Avez-vous besoin d'un album tel que "Bloodstone" pour en ouvrir un nouveau ?
Je ne l'ai jamais regardé de cette façon, mais je dois avouer que tu as raison... Quand tu fais ta vie, tu ne la vois pas comme "Chapitre 1, Chapitre 2, etc.". Tu la vis, c'est tout. Mais c'est une question extrêmement intéressante, c'est très vrai.
Les festivals [...] c'est bon, je déteste ça !
Ce chapitre inaugure aussi un changement radical avec les media et vos fans. Quel a été le déclencheur de cette décision de ne plus jouer avec une première partie et très peu de média. Marre de l'hypocrisie médiatique et un besoin de se reconnecter plus directement avec votre public (avec des shows gigantesques de 3 heures) ? Est-ce que le format classique quand on a des premières parties, ou dans les festivals, était trop frustrant pour vous ?
Concernant les festivals, ouais, je dirais qu'on en a eu juste marre, tout simplement. Ca faisait plus de 25 ans qu'on en faisait, c'est bon, je déteste ça. Ca caille, il pleut, le public patauge dans 50 cm de boue. Tu te dis "A quel moment est-ce que le heavy metal est devenu ça ? !" Putain, j'ai pas signé pour ça ! Je me souviens des trois derniers festivals qu'on a joués, c'était en Allemagne, juste avant que l'album ne sorte. Tous les jours, il faisait 4°, il pleuvait à torrent, notre matos était trempé de cette flotte glacée, et on était parqué là, sur un grand parking entre 2 centres commerciaux. "Putain, fait chier !" J'ai bien regardé les fans, et tout le monde s'en foutait, il n'y avait aucune connexion.
Est-ce une volonté de re-humanisation du groupe ?
Exactement, oui. Pour moi, il faut qu'il y ait une connexion, et il n'y en avait plus.
D'une certaine façon le metal s'est enfermé dans ce packaging qui ne se concentre plus sur le groupe
Vous sortez ce nouvel album, n'est-il pas risqué pour vous que cela vous isole de votre public d'une certaine façon ?
Si, bien sûr, c'est toujours risqué. On ne savait pas si ça allait marcher. C'est pourtant facile de garder cette connexion. A l'époque c'était principalement des groupes hippies qui
jammaient. C'était pas du tout l'esprit metal mais ça nous a beaucoup plu, et aussi aux fans. C'est comme si on avait pris une nouvelle direction et qu'on nous suivaient dans cette voie. Ce n'était pas évident d'expliquer à ta fan base qui te suit depuis 25 ans "Hey, si tu veux continuer à nous voir, ça va se passer comme ça maintenant !" Ça nous a énormément libéré d'un point de vue artistique. On a pu enfin jouer aussi longtemps qu'on voulait, mixer les chansons comme on veut, sans connerie, on a notre matos, notre équipe... Tu vois, quand
Bruce Springsteen ou
Paul McCartney joue dans une ville, personne ne demande "Qui joue en première partie ? ? ?" ou encore "Ouais, j'espère qu'il y aura 4 super groupes en première partie !" (Rires) D'une certaine façon le metal s'est enfermé dans ce packaging qui ne se concentre plus sur le groupe.
Ça peut sonner un peu arrogant, mais je pense qu'il n'y a pas beaucoup
de groupes qui peuvent se permettre [de faire ce que nous faisons] dans le milieu vraiment heavy
Tu cites des artistes extrêmement populaires et établis. Est-ce que Machine Head a atteint ce niveau de notoriété ?
Ça nous a pris du temps, mais je pense que oui. Ça peut sonner un peu arrogant, mais je pense qu'il n'y a pas beaucoup de groupes qui peuvent se le permettre dans le milieu vraiment heavy. On a toujours eu ces périodes qu'on a dû taire même dès notre premier album avec la chanson "I'm Your God Now", ou la chanson "The Burning Red" de l'album du même nom, quand on devait faire les setlists on ne pouvait pas se permettre de jouer ces titres parce qu'il fallait que ça tabasse du début à la fin. Pouvoir jouer ces titres rend le concert tellement plus appréciable parce que ça aère le show, ça nous repose, ça repose le public, et ces chansons sont superbes, les gens les veulent sur scène ! Pourquoi est-ce qu'on ne les a pas jouées pendant si longtemps ? (Rires) On adore ça maintenant, vraiment.
"Catharsis" est un combat contre le diable pour se guérir, se purifier... Donner un tel nom à un album est un message fort. Aviez-vous besoin d'évacuer une sorte de cri de colère ?
Je ne sais pas si c'est une guérison, je n'essaye pas d'en vendre en tout cas (Rires). Avant même que je sois dans un groupe, la musique a toujours été pour moi cathartique, dans le sens où tu peux crier, bouger, sauter dessus. J'ai commencé à aller à des concerts de thrash au début des 80's, j'ai vu
Metallica ouvrir pour Raven devant 250 personnes quand j'avais 16 ans ! La chanson éponyme est très cinématographique dans un sens, tout comme l'album finalement, t'as l'impression d'un film tout le long. Mais cette chanson résume parfaitement cet album si éclectique, si long - 15 chansons, 75 minutes - c'est un gros engagement de notre part.
D'ailleurs, c'est assez rare, une telle longueur - à part dans le progressif. Etiez-vous tellement confiant que vous vous êtes sentis de le faire maintenant ?
On n'avait pas ça en tête dès le début. On a simplement commencé à écrire sans savoir où on atterrirait.
Bien sûr, mais la plupart des groupes n'ont pas, une fois le tri fait dans les bonnes idées, un album aussi long que celui-ci...
Et c'est aussi ce qu'on a fait, pourtant ! (Rires)
Concernant l'écriture justement, es-tu toujours le seul maitre à bord ? Parce qu'on est assez surpris du peu de temps entre la fin de la dernière tournée (mars 2016) et aujourd'hui, sortie du nouvel album.
Je vais te dire... On s'est mis à écrire et j'ai voulu changer notre façon d'enregistrer parce que je n'aime pas rester trop longtemps enfermé en studio, je deviens fou au bout de deux semaines ! J'ai proposé aux autres d'écrire quelques titres, d'aller direct les enregistrer et de se barrer : en gros d'avoir un cycle très court pour ne pas sur-réfléchir les chansons, garder une certaine spontanéité. On n'avait jamais procédé de la sorte et c'était génial ! On pouvait retranscrire le plus fidèlement possible toute l'énergie qu'on voulait mettre dans le titre lors de la compo. Certains titres de l'album ont été enregistrés le jour même où ils ont été écrits ! Il y avait cette énergie genre : "Je ne sais pas ce que je fais !" (Rires) mais c'est ça qui a été enregistré, ça s'entend. Il y avait cette excitation spontanée due à cette façon de faire. On était habitué à enregistrer des démos puis, une fois dans le studio, perdre du temps à essayer de retrouver l'énergie des chansons. Cette énergie, c'est de ne pas savoir ce que tu fais ! C'est ce qui est si génial, frais et sonner créatif.
On l'imagine très bien, mais n'aviez-vous pas peur de ne pas livrer un ensemble suffisamment cohérent pour être présent sur un même album ? Et c'est peut-être une explication de sa variété ?
Bien sûr ! Tu pourrais tout à fait avoir raison, je n'en sais rien ! (Rires) Si tu regardes "The Blackening", les 4 premières chansons qu'on a écrites de cet album sont les 4 plus courtes de l'album : 'Aesthetics of Hate', 'Now I Lay Thee Down', 'Slanderous' et 'Beautiful Mourning'. Elles font pas loin de 5 minutes, alors qu'on a fini par composer des titres de 10 minutes, sans savoir si les gens allaient avoir le courage d'écouter, et aimer ! De toute façon, on ne sait jamais ce que ça va donner à l'avance.
Sur cet album, ce n'est pas tant l'homogénéité des chansons qui était au coeur des discussions entre nous, et avec la maison de disques, mais plutôt l'aspect provocateur des paroles. On rentre dans un paquet de plumes, y'a des gens qui vont pas être contents ! (Rires) Et pourtant on a eu besoin d'exprimer ces idées, ce qui est dit dans 'Bastards' par exemple. Est-ce bien nécessaire ? Hé bien oui ! D'ailleurs, elle est la pierre angulaire de cet album.
Avec le recul, je vois [cet album] comme une évolution naturelle.
Machine Head ne s'est pas cantonné à composer dans un style unique en 20 ans de carrière. Est-ce que "Catharsis" est une sorte de best of Machine Head avec de nouveaux titres ?
(Rires) Ce n'est pas à moi de décider... Avec le recul, je vois ça comme une évolution naturelle. Quand je vois des groupes comme les
Beatles et l'évolution fulgurante de leur musique en seulement 10 ans - ce qui est rien - j'hallucine ! Je respecte également les groupes qui restent super fidèles à un genre, à un style, à un message, il en faut pour tout le monde !
"Catharsis" est loin d'être linéaire : 'Beyond the Pale', 'Kaleidoscope', 'Hope Begets Hopes' sont dans l'esprit de "Blackening" ou "Locust" avec des soli contenant des parties techniques; il y a également "Triple Beam" qui se rapproche d'un rap metal ou 'Catharsis' et 'Hope' avec des parties emo et un chant clair. Cet album est comme un voyage au coeur de Machine Head...
Absolument ! Il y a plein de facettes qui font
Machine Head, il y a de la beauté, de la laideur, de la fête, du sexe, de la provocation... Je suis très fier de cet album...
['Bastards] incarne parfaitement notre message : défend ton territoire, ne laisse pas ces bâtards te détruire.
Avec des titres tels que 'California Bleeding', 'Bastards', 'Behind A Mask' et 'Eulogy', on perçoit des influences provenant de Pearl Jam, ou Kick Murphys particulièrement dans 'Bastards' qui sonne très rock et non metal. N'as-tu pas hésité à l'inclure dans cet album à cause de ça ?
Oh oui, tout à fait ! Et pour moi, elle n'est même pas rock mais plutôt folk ! C'est le genre le plus simple pour raconter une histoire. Je l'ai écrite 3 jours après les élections aux USA et je l'ai postée sur YouTube 2 jours plus tard. Je ne pensais rien en faire d'autre. Et plus ça allait, plus je retournais à la travailler, j'avais d'autres idées de
finger taps, de guitare, puis j'ai baissé la tonalité en fa, il fallait que ça soit en fa, c'est tellement bas ! Puis, j'ai voulu voir ce que ça donnait en version "groupe" ! Il a fallu être convaincant auprès des autres membres pour qu'ils soient aussi enjoués que moi (Rires) mais au final, elle incarne parfaitement notre message : défend ton territoire, ne laisse pas ces bâtards te détruire. Sois brut, obtus, bizarre, n'absorbe pas leurs peurs. Tu vois, les thèmes abordés dans le metal n'ont pas tellement évolués depuis 30 ans. J'emprunte au punk rock et au hip hop cette transgression et jusqu'à quelles limites on peut amener un sujet sensible. C'est extrêmement violent, ça traite de sexe, de drogues, j'adore ça ! J'adore le fait qu'on ait poussé le propos aussi loin. C'est comme ça qu'on parle aujourd'hui !
Vous enfoncez le clou avec 'Behind the Mask' qui rappelle Alice in Chains mais également le rock de "Eulogy" à la Bruce Springsteen avec le piano et la mélancolie qui confirme l'idée de thérapie. Avez-vous besoin de ce genre de chansons profondes et calmes pour vous exprimer également ?
Oui, ça traite de contradictions et de défauts, j'en ai moi-même beaucoup, donc en parler dans cet album est cathartique. Quand on fait une chanson comme "Eulogy" par exemple, je me plonge dans mes pensées les plus sombres, et mes dépressions les plus profondes, et je m'y installe un moment pour voir ce qui en ressort. Il n'y a pas de bon/pas bon, je prends ce qui vient et sur cette dernière chanson, je n'arrête pas d'y revenir, je ne sais pas pourquoi, mais elle continue de m'attirer énormément.
Merci beaucoup Robb
Merci à vous les gars !
Merci à Noise pour sa contribution...