... et notamment sur le fait que ce style musical et la démarche du groupe est trop souvent vulgarisée alors qu'elle est un vrai mode de vie pour le groupe...
Quelle est la question qu’on t'a trop souvent posée et à laquelle tu en aurais assez de répondre ?
Oh ! Et bien, probablement…
[Les gens] n’ont pas conscience que ce que nous faisons a beaucoup de signification pour nous.
Pas celle-ci, j’ai l’impression…
Ah non, pour le coup, non (Rires) ! Je trouve qu’on me parle trop souvent de l’aspect controversé de Watain comme le sang et les trucs sur les animaux. Je comprends parfaitement tout ça mais je trouve que certains le font de façon irrespectueuse : ils n’ont pas conscience que ce que nous faisons a beaucoup de signification pour nous.
Tu as conscience malgré tout que certains groupes font cela pour l’image et juste la provocation…
Je ne peux pas parler pour les autres groupes mais ce n’est clairement pas notre cas. Nous faisons cela parce que c’est une partie naturelle de ce que nous sommes, une partie de notre expression… D’une certaine façon, j’ai le sentiment qu’ils devraient mieux se renseigner sur ce qu’est Watain ! Je comprendrais si nous étions un nouveau groupe, ce n’est pas le cas, nous arpentons les scènes depuis près 20 ans aujourd’hui !
Mais ne vous méprenez pas, j’adore faire des interviews, aucune question ne me pose problème…
Revenons sur la tournée qui s’est terminée en décembre 2016, vous avez choisi de revenir sur votre troisième album, "Casus Luciferi", qu’est-ce qui vous amené à revenir sur ce disque en sachant que la démarche est très classique à présent et même un peu trop banale ?
La raison est relativement simple, Attila le chanteur de Mayhem avec qui nous avons fait cette tournée, m’a appelé en me disant qu’il voulait tourner avec nous et qu’ils allaient jouer "De Mysteriis Dom Sathanas" qui est un classique du groupe et il m’a demandé si nous pouvions faire quelque chose de similaire. Pour moi, c’était un peu étrange car je ne considère pas du tout "Casus Luciferi" comme un classique, cet album date d’il y a 15 ans et ce n’est rien du tout contrairement à "De Mysteriis Dom Sathanas" qui est clairement un classique. Malgré tout, c’était sympa de le faire et notamment de jouer des titres que nous n’avions pas joué sur scène. C’était une démarche intéressante car nous avons l’habitude de constituer nos
set-lists en piochant dans différents albums et dans le cas présent, c’était cool de pouvoir de pouvoir reproduire sur scène un album dans son intégralité.
Malgré tout, vous vous êtes démarqués de certains groupes qui reviennent sur leurs anciens albums sans conviction en affichant une force et une rage rares, on vous a notamment vu à Eindhoven et on a été épaté par la froideur et l’intensité que vous avez dégagiez dans l’interprétation, revenir sur ce disque c’était un retour aux sources de la rage et une cure de jouvence pour vous ?
On peut dire ça d’une certaine façon, mais comme je te l’ai dit, pour moi, ce n’est pas un vieil album : je me sens toujours très proche de cet album et notamment son processus de création qui est très proche de ce que nous faisons encore aujourd’hui. Bref, ce n’était pas comme quand Slayer joue ses premiers albums dans leur intégralité.
Si je devais entrer sur scène sans me préparer, je pense que mon
cerveau n’y résisterait pas… un concert de Watain est très intense pour
le corps mais plus encore pour l’esprit.
L’accueil a été incroyablement bon, entre le public et le groupe une alchimie s’installe, comment vous préparez-vous pour les concerts, il y a des aspects quasi-mystiques notamment quand tu joues avec le feu comme on joue avec un ami, l’impression de se frotter aux cercles de l’enfer est impressionnante, il y a une mise en condition mentale de votre part ?
Oui, si je devais entrer sur scène sans me préparer, je pense que mon cerveau n’y résisterait pas… un concert de Watain est très intense pour le corps mais plus encore pour l’esprit.
Est-ce que cela implique un changement de personnalité en quelque sorte ?
Je change autant ma personnalité qu’une personne qui monte sur un ring pour un combat de boxe ou quelqu’un qui fait l’amour à sa petite amie ou je ne sais quoi… Nous changeons notre état d’esprit en fonction de ce que nous faisons. Il n’est pas question de schizophrénie mais plutôt de se concentrer sur une autre partie de toi.
Et qu’est-ce que implique comme préparation ? Je ne sais pas… Cela fait tant d’années que nous faisons cela que je pense que c’est une préparation qui est devenue inconsciente et naturelle : par exemple, si nous avons un concert à 22 heures, je dirais qu’à partir de 16 heures, nous sommes plus silencieux, nous nous éloignons des pensées de la vie quotidienne… et quand vient l’heure du concert, nous sommes prêts !
Nous voulions également revenir rapidement sur "Wild Hunt", quel regard portes-tu sur lui quatre ans après sa sortie ? Il était long, dense et parfois plus mélodique et accessible, avec le recul, es-tu satisfait de cet album ?
M’oui…
On a l’impression que tu n’es pas totalement convaincu…
(Rires) Non, non, je n’ai pas voulu dire ça… Je suis super fier de cet album, d’ailleurs, j’écoutais encore récemment un titre de cet album. Je suis très content d’avoir eu le courage d’expérimenter certaines choses sur cet album : c’est une grande fierté ! Ce fut un album qui nous a beaucoup inspirés mais à l’inverse, c’était un gros projet à mener.
Avec ‘They Rode On’, vous avez balancé une ballade rock surprenante, avec le temps que penses-tu de ce titre et du choix osé de mettre un titre aussi différent sur votre album ?
Je suis très heureux d’avoir pu faire cette chanson, j’adore cette chanson…
Et avez-vous hésité à l’inclure dans l’album ?
Non, pas vraiment…
Même pas de l’accueil du public ?
Si tu respectes ton public et ceux qui achètent tes albums, tu ne dois pas soucier des attentes et faire uniquement des choses pures ! Que puis-je dire de plus ? En fait, ce titre a attiré l’attention de la plupart des gens alors que "Wild Hunt" dure plus d’une heure. Les gens se sont concentrés sur ce titre au détriment des autres qui ont été un peu passés sous silence et je trouve ça triste parce qu’il y a plein de bons titres sur cet album.
[Les] réactions qu’elles soient positives ou négatives sont pour moi la preuve que nous faisons bien les choses
Vous ne faîtes pas dans la demi-mesure, c’est tout ou rien avec le groupe, ou on vous aime ou vous hait, comment vivez-vous cela, le fait d’être toujours dans la controverse ? Cela rend plus fort parfois de ne pas faire l’unanimité et de déranger des esprits trop bien-pensants ?
Je ne sais pas si ça nous rend plus fort, il faut juste savoir que notre démarche est naturelle ! Quand un groupe a une expression véritable, personnelle mais également assez radicale et extrême, s’il le fait bien, il est naturel que les gens réagissent ! Ce genre de réactions qu’elles soient positives ou négatives sont pour moi la preuve que nous faisons bien les choses.
Cela te conforte en quelque sorte dans ta démarche ?
Je préfère que le public me crie d’aller me faire enculer plutôt que de partir parce qu’on le laisse indifférent ! La chose la plus importante est de provoquer une réaction !
Votre actu c’est ce nouvel album "Trident Wolf Eclipse", il nous a collé au mur d’entrée, comme cela ne nous était pas arrivé depuis longtemps en matière de black metal avec une violence et une intensité énormes. ‘Nuclear Alchemy’ et ‘Sacred Damnation’ sont des monstres du genre. Pousser aussi loin le curseur de la violence pure et ouvrir avec ces titres c’est pour claquer l’auditeur et bien lui indiquer où il met les pieds ?
Oui ! C’est la raison pour laquelle nous avons choisi ‘Nuclear Alchemy’ comme single parce que j’aime quand un single est une sorte de coup de poing de l’album. Sachant que quand l’auditeur a pris ce poing dans la gueule, on peut ensuite expérimenter (Rires) ! J’aime cette façon de voir les choses et c’est pourquoi l’ouverture de cet album est assez violente dans le genre.
Je n’ai jamais été fan de groupes qui font juste de la brutalité, je leur
préfère les groupes qui y ajoutent des atmosphères sombres et
mystérieuses et cela rend leur musique beaucoup plus intéressante et
c’est un peu ce que nous essayons d’explorer dans nos albums
Dans le genre, l’écoute de cet album rappelle Inquisition mais aussi Marduk de ‘Panzer Division Marduk’ pour cette force brutale et cette intensité glaciale, ces groupes sont des références et des camarades de jeux respectables pour toi ?
Hum, je préfère plus leurs anciens albums et plus particulièrement "Heaven Shall Burn... When We Are Gathered" et "Nightwing" qui sont deux de mes albums de metal suédois préférés. Je n’ai jamais été fan de groupes qui font juste de la brutalité, je leur préfère les groupes qui y ajoutent des atmosphères sombres et mystérieuses et cela rend leur musique beaucoup plus intéressante et c’est un peu ce que nous essayons d’explorer dans nos albums : combiner le côté sauvage et prédateur de la brutalité avec un autre plus contemplatif et profond.
Mais tu es conscient qu’il est difficile de percevoir ce deuxième aspect tant le mur de violence est impressionnant ?
Si tu parles des deux titres introductifs, c’est évident…
Est-ce que cela induit que tu souhaites que votre public doit creuser pour découvrir ce côté contemplatif et profond ?
Absolument, j’encourage les gens à creuser toujours plus profondément parce que ce fut particulièrement le cas sur "Wild Hunt" mais Watain a toujours encouragé à vraiment écouter ses albums. Ce n’est pas une critique car ça leur réussit très bien mais ce n’est forcément la peine avec pas mal de groupes mais pour ma part, je préfère notre démarche…
A côté de cette violence, on a beaucoup apprécié ce côté méchant, sans espoir et noir de chez noir, le fait d’avoir tourné avec "Casus Luciferi" a pu influencer sur l’écriture de ce nouvel album ou aviez-vous décidé à revenir à de la pure brutalité bien avant cette tournée ?
Nous avions déjà décidé de cela avant la tournée. Nous parlions depuis des années de plus nous concentrer sur cette face de Watain parce que toute personne qui nous a vus sur scène sait que nous avons une approche très violente des concerts et nous étions très intéressés par expérimenter encore plus cette énergie.
Le disque est très court - 34 minutes pour 8 titres -, cela change des disques plus chargés, il s’agissait de revenir à l’essentiel ? Une formule directe et dans la gueule comme Slayer l’avait fait en 1986 avec "Reign In Blood" ?
Bien sûr même si "Reign in Blood" était plus court du haut de ses 29 minutes, ce qui est très court pour le coup (Sourire)… J’ai toujours aimé les albums courts : j’aime quand il y a quatre titres sur la face A et quatre autres sur la face B. Et je trouve qu’après un long album comme "Wild Hunt", c’était cool de procéder de la sorte en sortant un album plus va à l’essentiel.
Au-delà de la violence pure et dure il y a aussi un côté vicieux, malsain….
Oui tu as raison, il y a un vrai côté malsain…
… et purement maléfique, on pense au terrible ‘Teufeslreich’ qui glace le sang, ce côté de votre personnalité fait votre force qu’en penses-tu ?
Et bien, l’album dans son intégralité est basé sur l’idée de force, de puissance… Selon moi, si tu traduits ça dans la musique et en particulier dans une musique diabolique et sinistre, la puissance sonne comme quelque chose de destructeur, comme un tremblement de terre qui te prend à la gorge !
Donc je pense que c’est juste le son naturel du genre de puissance que nous essayons de décrire. C’est également important de se rappeler pourquoi tous ces ingrédients comme tous ces éléments destructeurs sont présents, c’est pour donner du pouvoir et non pas l’inverse… c’est très important d’avoir cela à l’esprit !
Je trouve que c’est intéressant de vieillir [pour un groupe de black metal]
Ce côté s’est un peu perdu avec le temps et l’âge chez pas mal de groupes qui sont violents certes mais sans cette force lugubre, vieillir c’est le plus dur pour un artiste musical et black metal en particulier ?
Non, au contraire, je trouve que c’est intéressant de vieillir. D’une certaine façon, une personne de 35 ans qui parle de la mort et du diable dans sa musique est un peu plus intéressante qu’une autre de 15 ans qui fait la même chose. Si tu as réellement une passion pour cette musique et que tu la gardes en vie pendant toute ta vie, je pense qu’un groupe de black metal peut devenir de plus en plus intéressant au fur et à mesure des années : personnellement, je préfère écouter quelqu’un qui a contemplé et a réfléchi à ce sujet pendant longtemps…
Ce disque a un fort côté spirituel. Il y a sa pochette impressionnante de puissance, la plus forte peut être de votre histoire et ce titre qui claque comme un coup de fouet, il fallait impressionner d’entrée de jeu avec le visuel ?
Hum, et bien, nous avons passé beaucoup de temps sur cette pochette sachant que c’est quelque chose de central dans l’univers de Watain. Il n’y a donc rien de profondément différent pour cet album. Que puis-je dire de plus ? Nous avons toujours voulu quelque chose de frappant comme une sorte de coup de poing. Mais quand les gens voient le visuel dans son intégralité et notamment les détails qui sont à l’intérieur, il a encore plus de sens… et c’est encore plus vrai quand ils lisent les paroles, tout devient encore plus clair et ils peuvent comprendre ce que nous avons voulu exprimer.
Tout le long de l’album, on retrouve cette force émotionnelle et spirituelle qui renvoie droit vers les anciens Samael, vers Dissection bien sûr ou vers les débuts de Mercyful Fate, il y a une famille d’esprit entre vous et tous ces groupes, pas que musical mais bien dans un esprit proche du satanisme tel qu’il aurait dû le rester, à savoir cru et sans pitié ?
Les trois groupes que tu as cités sont parmi les trois plus importants dans l’histoire de Watain et je valide totalement ta comparaison…
Je vois Watain comme un hommage à la musique que j’adore
Ouf, on a enfin une question dans le mille pour une fois…
(Sourire) Non pas du tout au contraire… Mais pour en revenir à ces trois groupes, ce qui est intéressant de noter c’est que ces groupes sont des groupes individuels : ils ont chacun trouvé leur propre façon de faire les choses. Et c’est ce qui les rend intéressants à mes yeux, de tels groupes sont une inspiration et je vois Watain comme un hommage à la musique que j’adore. Il y a plein de petits éléments qui se réfèrent à ces influences et non pas un hommage direct…
Bien que j’aime plein de groupes avant-gardistes, quand il s’agit de black metal, j’aime qu’il soit pur !
N’est-ce pas l’essence de l’étiquette "true metal" finalement : peu importe ce qui est nouveau ou vieux, nous sommes toujours vrais et fidèles à nos racines ?
Absolument, la tradition est quelque chose d’important : toute la musique que j’aime peut être décrite comme étant "traditionnelle" et cela insuffle une certaine forme de force. Et bien que j’aime plein de groupes avant-gardistes, quand il s’agit de black metal, j’aime qu’il soit pur !
Nous avons fondé Watain quand nous avions 16 ans et nous avons senti très tôt que ce groupe allait être au centre de nos vies
Vous avez vu le jour il y aura 20 ans en 1998, après la première vague black donc mais en ayant finalement mieux résisté que pas mal de groupes aux méfaits du temps : comment expliques-tu cela ?
Hum, comment puis-je expliquer cela ? Les autres groupes sont peut-être… (Rires) ! Je ne peux pas parler pour les autres groupes, je pense que ça a à voir avec le fait que nous avons fondé Watain quand nous avions 16 ans et nous avons senti très tôt que ce groupe allait être au centre de nos vies. Nous avons travaillé d’une façon qui n’était peut-être pas totalement conventionnelle, nous avons fait les choses par nous-mêmes, à notre façon, avec nos propres règles… Quand un groupe standard va sortir un album, tourner… Watain fonctionne plus comme un orage chaotique (Rires) et c’est qui donne vie à ce groupe car c’est vraiment excitant d’être dans ce groupe !
Cela nous renvoie sur le côté clan et famille que dégage le groupe, on a l’impression d’un groupe soudé par une image et une philosophie, c’est important ce côté clanique ?
Bien sûr ! Et je dirais même que c’est peut-être la chose la plus importante dans Watain.
Finalement dans la démarche cela peut rappeler Black Label Society et ses fans, comme un gang soudé ? L’image vous parle ?
M’ouais… Bien sûr avec cette imagerie des bikers, il y a des similarités. C’est très important pour Watain d’être son propre monde solitaire et confiné : c’est vraiment ce qui donne vie à ce groupe ! Le symbole de tout cela est celui que nous portons dans notre dos, ce trident et ce loup !
Finalement qu’attends-tu de la sortie de cet album ?
Je ne sais pas. J’espère que les gens vont comprendre à quel point Watain a encore de la force…
Pourquoi ? Tu as craint que le public pense que vous en avez perdu ?
Non, je pense que les gens ont trop eu l’habitude qu’un groupe après six albums devienne un groupe hors sujet ou sans importance. C’est quelque chose qui nous tient à cœur de prouver que nous pouvons continuer à faire notre musique si nous continuons à faire exactement ce que nous voulons faire.
Les gens oublient parfois que Watain est un groupe de metal pur et dur
On a commencé par la question qu’on t’a trop souvent posée, au contraire, quelle est celle que tu souhaiterais que je te pose ?
Et m… (Rires) ! Je ne sais pas, tu veux que je fasse ton travail à ta place (Rires) !
Plus sérieusement, j’aime parler metal et les journalistes ne le font pas assez selon moi ce qui n’est pas ton cas, j’avoue. En général dans les interviews, les gens oublient parfois que Watain est un groupe de metal pur et dur. Et en général quand tu fais des interviews à propos d’un nouvel album, tout devient d’un seul coup intéressant parce que tu continues à découvrir des choses auxquelles tu n’avais peut-être pas réfléchi…
Merci
Merci à vous…
Merci à Noise pour sa contribution...