La pochette de "V" reprend l'image du flacon du premier "Blackfield" mais non plus dans l'obscurité puisqu'il est traversé de lumière. On pourrait penser que les deux albums sont liés mais en même temps dans les tonalités font de ce "V" est un peu l'antithèse du premier, avec ses mélodies enjouées et ses ballades mélancoliques moins sombres. Est-ce pour signifier que les deux albums sont liés ? Est-ce une manière de voir ce "Blackfield V" comme la fin d'un cycle, comme si une boucle se bouclait ?
Aviv Geffen : Effectivement il y a le même flacon que sur le premier disque car Steven et moi voulions quelque chose de similaire à l'esprit des deux premiers albums. Steven, comme tu le sais, revient vraiment avec ce nouvel album et quand tu parles de boucle il y a cette idée que nous retrouvions la démarche qui a été la notre au début. C'est un peu comme si de nouveau chacun de nous rejetait la même bouteille à la mer.
Quand on jette une bouteille à la mer il y a un message à l'intérieur…quel est le message à l'intérieur de votre bouteille ?
(Rires) Le message c'est l'amitié, la musique que nous voulons faire ensemble. Je suis très occupé et Steven l'est encore plus mais Steven voulait que Blackfield continue malgré tout. Je pense que Steven Wilson a travaillé encore plus intensément sur ce nouvel album que moi, il a passé de très nombreuses heures dans mon studio à mixer, à peaufiner le son et le rendu car nous avons tout mis dans ce disque. Blackfield est un peu comme la continuité de Porcupine Tree pour Steven, car depuis quelques années il écrit de la musique plus jazz et prog, et Blackfield est sa meilleure facette.
Blackfield s'inscrit comme l'héritage de Porcupine Tree
Peut-on dire en d'autres termes que Blackfield s'inscrit comme l'héritage de Porcupine Tree ?
Oui, absolument. Quand on écoute l'album de Porcupine Tree "Signify" il y a quelque chose de très ressemblant à ce que fait Blackfield.
Et pourquoi l'album ne sort pas comme prévu initialement en novembre mais en début de l'année prochaine ?
C'est la décision de Steven qui n'était pas satisfait du résultat en termes de mixage sur certaines chansons et il voulait que tout soit parfait. Steven a posté sur son Facebook il y a quelques temps qu'il considère cet album comme le meilleur album jamais sorti sous le nom de Blackfield. Je suis d'accord avec cet avis, ça s'entend simplement à l'écoute.
Pour cet album [...], le travail s'est fait en duo, [Steven] a mis tout son cœur à l'ouvrage
Alors que Steven Wilson s'est beaucoup impliqué dans Blackfield dans les deux premiers opus il a quasiment disparu de "Welcome To My DNA" et "Blackfield IV". Il fait en quelque sorte son retour en tant que producteur, chanteur et compositeur (2 titres) de l'album. Qu'est-ce-qui a provoqué son retour?
Il voulait redevenir un membre entier de Blackfield et ne pas uniquement le voir comme un projet annexe pour lequel il pose quelques parties de guitare ou de chants de temps en temps. Il désire être partie prenante de chaque étape du processus de réalisation, se pencher sur chaque détail. Pour cet album nous avons été tous les deux dans les studios, le travail s'est fait en duo, il a mis tout son cœur à l'ouvrage. En fait, Steve et moi sommes deux personnes très faciles à vivre et douces, et les albums de Blackfield sont réconfortants pour nous , un peu comme un oreiller sur lequel on aime se reposer.
Son retour semble avoir été très bénéfique pour ton inspiration car tu écris dans ce "V" quelques-unes de tes plus belles chansons. Le ressens-tu?
Merci beaucoup. Je pense que nous apprenons tous les deux beaucoup ensemble, nous essayons des tas de choses pour trouver ce qui est le meilleur mélange pour le groupe et selon nos inspirations.
A ce propos, il est sûrement trop tôt pour le dire mais alors que nous avions le sentiment que "IV" était l'album le plus faible de la discographie de Blackfield, on a le sentiment que vous sortez avec "V" le meilleur...
Merci ! Mais je t'avouerai que je pense exactement la même chose que toi !
Steven chante sur quelques morceaux du disque alors qu'il n'est crédité que sur deux titres, 'From 44 To 48' en compositeur et 'Life Is An Ocean' en co-compositeur. Comment décidez-vous qui chantera sur tels titres ?
On en parle ensemble en studio presque au moment d'aborder les chants, on se répartit les titres, quel couplet sera chanté par qui... Mais sur certains titres l'un de nous chante seul tout le morceau, c'est le cas par exemple sur 'October'.
Justement, le sublime morceau 'October', très symphonique avec ces phrases de piano très amples, est chanté par Steven Wilson. Sur celui-ci son chant est très profond et en même temps très pur. Lui as-tu donné des "directives" pour aborder le chant de cette manière sur ce titre ?
Oui, on s'est un peu battus pour savoir qui chanterait sur ce morceau (Rires). Le pianiste sur ce titre est Mike Garson. Le chant de Steven est comme tu le dis très profond et c'est une des plus belles performances de Steven au chant. Oui, j'ai donné quelques sentiments qui ont pu orienter Steven en studio quand nous avons enregistré sa voix. La manière qu'il a de faire évoluer le chant dans cette chanson est magnifique, il commence de façon très douce pour finir presque en s'arrachant la voix…
Est-ce que tu vas faire de Blackfield un groupe de metal extrême pour le prochain album ?
Oui, peut-être (Rires). Pour revenir à 'October', quand les parties se sont assemblées et que Steven m'a envoyé le résultat mixé et fini j'ai été vraiment impressionné par ce titre magnifique.
Quand je joue avec Steven c’est un peu comme si je collaborais avec Jimmy Page, Gilmour ou Brian May...
"Blackfield V" est magnifiquement orchestré. Comment as-tu procédé pour conduire le London Session Orchestra qui a joué toutes tes parties symphoniques?
C’est assez compliqué et notamment cela génère des frais. Quand on avait les chansons Steven retournait en studio chez lui et enregistrait les guitares et pouvait travailler le rendu qu’il désirait à sa guise. J’ai pu procéder aux arrangements de mon côté comme par exemple les contrebasses ou les cors. Et à vrai dire l’argent dépensé n’est pas un problème car quand je joue avec Steven c’est un peu comme si je collaborais avec Jimmy Page, Gilmour ou Brian May… Steven est un très grand compositeur et tout ce que je suis amené à faire avec lui va s’inscrire dans la durée. Peu importe l’argent, la musique est plus importante.
De par son artwork, ses thèmes "Blackfield V" semble être placé sous le signe de l’océan. Quelles étaient tes ambitions en composant sous ce concept ?
C'est Steven qui a eu l'idée de ce thème. Le thème de l’océan draine des mystères, c’est un lieu assez dangereux et effrayant. Par ses caractéristiques de fluidité et de transparence nous pensions tous les deux que le concept d’océan refléterait le mieux l’album. Et l’eau c’est la vie !
Dans "V" hormis l’introduction il y a le premier titre instrumental que tu aies jamais créé : ‘Salt Water’. Pourquoi ce choix ?
J'avais cette phrase de guitare en tête et cette progression d’accords, et en discutant si nous devions placer des paroles dessus nous sommes tombés d’accord pour laisser le morceau comme cela. La partie de guitare se déroule jusqu’au solo de guitare que j’ai écrit pour lui et qu’il joue superbement.
Parmi les nouveautés du disque il y a ce titre electro 'Lonely Soul'. Quel est ton cheminement afin d’arriver à ce titre atypique de l’album ?
Avec Steven nous avons décidé de garder ce morceau qui sonne bien et qui est très léger avec ses boucles que l’on peut qualifier de hip-hop. Cela vient probablement des goûts que l’on a pour ce genre de musique, notamment DJ Shadow. Nous adorons ce titre. Il s’intègre très bien dans l’album malgré sa particularité évidente comparée aux autres morceaux.
Tu utilises un chœur de garçons sur le titre 'Lately'. Est-ce un clin d’œil au travail de Steven qui emploie ce chant dans son dernier album "Hand.Cannot.Erase" ?
Non pas vraiment, ce chœur s’est un peu imposé par lui-même à ce moment dans ce titre.
Il ne faut pas rêver sa vie mais la vivre
Quelle est la signification du titre composé par Steven ‘From 44 to 48’ ?
Ce titre aborde le fait qu'il a admis que dans la vie on ne peut pas tout réaliser. Bien sur il a atteint une partie de ces rêves, être un guitariste reconnu par exemple. C'est un peu le fil conducteur de l'album, et cette chanson en particulier, il y parle des grands rêves que nous avons tous, et le sien est d'avoir une famille. Le message de la chanson est qu'il ne faut pas rêver sa vie mais la vivre. Nous avons tous des grands rêves mais on ne pourra pas tous les réaliser donc il faut savoir vivre pleinement et profiter de ce qui nous arrive. L'album se termine sur ce magnifique titre.
L’album a été enregistré dans sept studios différents, pourquoi ?
Car quand j’étais occupé en Israël, Steven et Alan sont venus me rejoindre ici, et quand Steven était retenu en Angleterre nous sommes allés là-bas et de la même manière pour Alan en Californie. Nous voulions être tous les trois ensemble au même moment et au même endroit à chaque fois. Nous n’avons jamais eu recours aux communications par e-mails, jamais.
Nous avons tout enregistré dans les conditions du live, ce qui donne un album parfaitement homogène
N’as-tu pas craint que cela pourrait jouer sur la cohérence de l’album, qui est au final parfaitement homogène ?
Oui, il l’est car nous avons tout enregistré dans les conditions du "live" en reproduisant à chaque fois les mêmes schémas d’enregistrement et les mêmes instruments. Les compositions du groupe ont leur propre signature et le talent d’Alan et Steven ont permis de rendre le résultat parfaitement identique.
Sur "Blackfield IV" tu avais invité beaucoup de musiciens à participer à l’album. Quels sont ceux avec tu aimerais collaborer à l’avenir ?
Je trouve que sur "Blackfield IV" il y a avait trop de guests.
Tu veux dire qu’il n’était plus vraiment un disque de Blackfield ?
Oui exactement, il y avait trop d’invités. L’ADN de Blackfield correspond à Steven et moi, dans sa forme la plus pure. Quant à savoir si j’aimerais réitérer les participations sur le prochain album, je ne sais pas vraiment encore.
Il y aura Alan Parsons ?
Oui, bien sûr (Rires)...
En 2011, lors de notre précédente interview tu m’avais confié être très concerné par les questions politiques. Est-ce que tu as vu des changements à ce sujet dans les grands enjeux politiques mondiaux ces dernières années ? Ne penses-tu pas qu'essayer de délivrer des messages optimistes et pacifiques apparait de plus en plus comme un vœu pieux ?
Il me semble que la situation devient de plus en plus critique. Steven n’est pas du genre à donner son avis sur les questions politiques mais moi je le fais volontiers. Ce qui m’effraie le plus actuellement c’est l’élection de Trump, et toutes les déclarations qu’il a faites sur les questions d’isolement, la construction du mur. Il y a aussi tellement de troubles, en France avec les attentats, le Brexit, le repli sur soi-même…
On espère que la prochaine fois que l’on conversera ensemble pour le prochain album les choses se seront apaisées ?
Je l’espère aussi.
Merci beaucoup.
Merci à toi, à bientôt.
Merci à Struck qui a réalisé cette entrevue.
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