C'est un Mario complètement décontracté et très communiquant comme à son habitude que nous avons eu le plaisir de rencontrer pour parler de la sortie imminente de "Magma", marquant une direction artistique choisie, au service de la musique.
Quelle est la question qu'on t'a trop souvent posée ?
Mario Duplantier : Hum... Je dirais "Pourquoi vous n'avez pas sorti Sea Shepherd, l'EP ?" (Sourire)
On se voit dans le cadre de la sortie de votre sixième album... après un délai de 4 ans qui est donc la norme désormais. Cela reste un long délai dans un business qui évolue constamment et compte tenu du statut que vous avez au sein de la scène metal non pas seulement hexagonale mais bien mondiale. Ressentez-vous une pression au moment de rentrer en studio ?
Oui, c'est vrai pour le délai de 4 ans. Après comme tu le dis, on est devenu un groupe international donc on s'est enchaîné 5 tournées américaines, 5 européennes, des tournées en Asie, en Amérique du Sud. Pour moi, je ne pense tellement pas au fait qu'il s'est déjà écoulé 4 ans entre 2012 et 2016. C'était tellement de travail intensif, que je ne les vois pas comme une pause.
Justement, n'y a-t-il pas un risque de burnout dans tout ça ?
Alors, on en a dans le groupe certains qui sont devenus parents. On s'est donc octroyé quelques mois de pause sans composer, ni tourner, ce qui est assez nouveau, grâce à nos situations personnelles et familiales. Il y a aussi une autre raison, c'est qu'on a voulu construire un studio, de nous-mêmes, ce qui a pris entre 3 et 4 mois, donc là où on aurait pu avoir ce temps à composer, on s'en est servi pour constituer cet espace, et c'est dans ce studio qu'on a pu créer notre bulle, un espace très favorable à la création, on y a composé et enregistré. Ce sont ces événements qui ont repoussé cette sortie.
Pression que ça soit du label, des fans ou vis-à-vis de vous-même d’ailleurs ? Laquelle de ces pressions est la plus forte : vis-à-vis de soi-même et la crainte de régresser ou la crainte que le public soit passé à autre chose tellement il est changeant notamment à l’étranger où l’étiquette groupe français demeure ?
Il y a des pressions de toutes parts et de toutes sortes. La principale vient de nous-mêmes, avant tout c'est qu'on ait quelque chose à dire au niveau artistique, quelque chose qui nous corresponde aujourd'hui. Est-ce qu'on est toujours ce groupe de Death Metal, comme il a commencé il y a 20 ans ? On se sent changer, on n'est plus les mêmes personnes. Qu'est-ce que Gojira en 2015/2016 a voulu exprimer. C'est ça la pression principale. Après, on essaye de ne pas trop se formaliser sur l'attente de nos fans, des medias, etc.
Ces dernières années on voit bien qu’il est difficile de garder une constante de qualité musicale, quand des grands groupes ont parfois du mal à évoluer, Morbid Angel, Slayer et tant d’autres. N’avez-vous pas peur d’un jour être confronté à l’angoisse de la page blanche ou de la redite ?
On passe 90% de notre temps sur la route pour le live. Donc c'est s'entretenir techniquement et physiquement pour assurer des shows. C'est une réalité. 90% de notre boulot, c'est maintenant d'assurer sur scène. Les 10% du reste, c'est de la création. Ce sont des moments qu'on adore, on n'a absolument pas peur de la page blanche. Par contre, il faut qu'on soit tous les 4 en phase, à ce moment-là de nos vies, à vouloir la même chose et c'est là que les influences de chacun interfèrent. Personnellement, j'aurais tendance à vouloir ajouter des aspects techniques et bien death metal à nos morceaux, quand une autre personne du groupe aurait voulu rétrograder et revenir à un son plus rock... Je pense qu'on a trouvé une super balance dans cet album.
Tu disais que certains étaient devenus papas, en passant 90% du temps sur les routes, est-ce que vous ne craignez pas que ça génère des problèmes à terme dans le groupe ?
Des problèmes non. Ce sont des agencements à trouver, des équilibres. Avec des discussions avec le management, le label, des tournées de 1 mois au lieu d'un mois et demi, on peut trouver des petits compromis comme ceux-là pour faire des ajustements dans nos vies. Comment on gère tout ça nous regarde, on est très focalisé sur notre carrière et l'évolution du groupe.
Tu disais le temps de l'artistique relativement réduit, est-ce une bonne chose pour garder cette spontanéité et à l'inverse, est-ce que vous verriez, tel un Metallica, vous enfermer 2 ou 3 ans pour sortir un album ?
Le danger c'est que trop de temps nous ferait accumuler trop de matière, trop de morceaux et nous perdrait peut-être. Après tu as raison, avoir des
deadlines serrées pousse à la création. C'est comme quelqu'un qui décide de se mettre à courir. Il va commencer un jour, avoir des courbatures les jours suivants. Quand il va courir une deuxième fois, il va devoir faire l'effort d'aller au-delà de ses douleurs, puis après 4 ou 5 fois, il va arriver dans une zone de confort où il apprécie de courir et là, vient l'addiction. Pour la composition, il faut ouvrir les vannes, en quelque sorte, de la création et de l'inspiration. Mais c'est un processus qui passe par un blocage. Quand c'est ouvert par contre, c'est génial, c'est ce que j'ai éprouvé sur cet album pendant les quelques mois intensifs.
Musicalement, "L'Enfant Sauvage" était la suite logique de 'The Way of All Flesh', une sorte de petit frère avec une formule bien établie. As-tu conscience avec le recul que ces deux albums sont très, voire un peu trop proches ? Comment vois-tu l'Enfant Sauvage 4 ans plus tard ? En es-tu toujours satisfait malgré le manque d’évolution ?
Oui, je suis toujours satisfait du travail qu'on a fait. En tout cas, j'ai du respect pour le travail qu'on a fait parce que j'estime qu'on donne 100% de nos capacités quand on va composer un album et l'enregistrer. En ce sens, j'ai beaucoup de respect pour "The Way Of All Flesh", ainsi que pour "L'Enfant Sauvage". Avec le recul, peut-être que "L'Enfant Sauvage" manque un peu d'air, j'ai des images où je vois que ça suffoque un peu, il y a de très très bons morceaux, et il y en a d'autres qui auraient pu être plus poussés.
Justement, sur ce nouvel album, il y a ces plages qui donnent cette impression de vouloir aérer le propos. Par exemple, le premier titre qui est très impressionnant, atmosphérique et prenant et prend le temps d’instaurer une ambiance avec une voix claire très présente. C’était le but de calmer un peu le jeu et de retrouver une sorte d’ambiance froide et mélancolique comme à l’époque de "Mars To Sirius"?
On n'est pas vraiment tourné vers le passé, on ne pense jamais à "Mars To Sirius". On n'est jamais dans la référence quand on compose, mais dans l'instant et dans le désir. "Qu'est-ce qu'on a envie de faire ?" La raison pour laquelle on a mis 'Shooting Star' en premier, c'est peut-être aussi pour les gens qui vont nous écouter, comprendre qu'ils vont entrer dans une nouvelle dimension, un nouveau visage du groupe. Effectivement, je sens qu'entre "l'Enfant Sauvage" et "Magma" on est dans un âge un peu crucial où tu passes de la fin vingtaine à la trentaine. J'ai 34 ans, les autres ont un peu plus, donc on devient parents, etc. Il s'est passé plus d'événements entre "l'Enfant Sauvage" et "Magma", donc oui, on a aéré le propos, oui, on a clarifié tout ça. Ca correspond à l'évolution personnelle.
Tu parlais de "L'Enfant Sauvage", quel regard portes-tu sur le live, "Les enfants sauvages de 2014" ? C’était un live qui bouclait la boucle et qui vous permettait de passer à autre chose, comme la fin d’une étape, sachant que ce premier titre de "Magma" confirme cette impression ?
Ouais, on a eu une super opportunité de tourner ce DVD à la Brixton Academy. On avait à ce stade de la prod, la tête de l'Enfant Sauvage, Londres est une ville à la résonance internationale, c'était fabuleux pour nous de tourner ça. Ce premier titre de "Magma", comme tous les titres, amorce un changement de visage, un vrai désir d'être plus en phase avec nos vraies influences, avec la musique qu'on a envie de jouer tout en restant Gojira ! On aurait besoin de plus de temps, mais le magma, c'est avant tout la matière volcanique, et c'est un état d'ébullition. Un désir de changement grondait en nous, des réflexions par rapport à la vie, le fait d'être parent, de perdre un parent, tout en même temps. C'est une introspection, c'est le soleil, la fusion, le cœur de la tête, la mer, une réflexion sur l'absolu...
Et ce premier titre a même des airs de bande originale, on a l’impression de regarder Blade Runner. Il a des aspects qui renvoient vers les débuts de SUP époque "Chronophobia" ou "Room 7" pour ce mélange entre puissance et ambiance glacée. Tu es d’accord avec ces comparaisons ?
Oui, tout à fait. Mais l'analogie appartient surtout à chacun, de donner son impression. C'est ce que j'aime avec la musique. Là, on parle ensemble pour cerner le concept, mais je ne sais pas ce qu'est précisément cette musique, d'où elle vient. C'est vrai ! On a créé cette musique, mais on est animé par autre chose, c'est juste une pure expression, presque sensorielle. Je suis d'accord et ce que tu me dis me parle, effectivement.
Les chansons sont plus courtes, c’était un besoin de revenir à l’essentiel, de moins s’étendre ? Comme si vous étiez allés trop loin pour avoir eu envie de revenir à des formats plus courts ?
Oui, je suis encore d'accord avec toi. J'écoute certains morceaux de "L'Enfant Sauvage", et si ça ne tenait qu'à moi, je repartirais en arrière et je les taillerais. J'enlèverais 4 mesures là, 2 autres là. On a beaucoup travaillé la dynamique émotionnelle, la dynamique du rythme, les tempos. J'accordais beaucoup d'importance à ça. On a travaillé aussi la tonalité de l'album, j'ai eu une grande réflexion sur les gammes qu'on utilisait. On est très gamme mineure, on adore tout ce qui est
dark, mélancolique.. Et là, on a eu un peu plus besoin d'apporter des gammes majeures. L'humeur qu'on voulait donner était réfléchie aussi car il faut savoir que quand on compose un album, on va devoir vivre avec le reste de notre vie, mais surtout les 3 prochaines années ; donc c'était très important de donner un ton qu'on voulait défendre pendant ce temps. On a beaucoup beaucoup travaillé sur tant d'aspects de cet album, qui s'entendent ensuite plus ou moins car il n'y a pas beaucoup de morceaux, mais ça a été une matière brute d'une tonne pour arriver à la fin à un petit échantillon.
On reconnait la patte Gojira bien sûr reconnaissable entre mille, que ça soit par ce son de guitare inimitable et si souvent copié que par ton travail à la batterie qui reste un modèle du genre, à la fois très puissant et d’une finesse rare. Avez-vous conscience que le groupe a une forte identité musicale et qu’il a souvent servi de modèle ? Cela doit être une fierté ?
Ouais, on en a conscience. Je m'en rends compte quand... Je ne sais pas si je dois le dire (rires), mais je suis ami avec le batteur de
Deftones, il m'a envoyé un texto comme quoi il avait acheté la même ride que moi sur le dernier
Deftones. Ca m'a fait vachement plaisir car il a été touché par le son très
Gojirien de ma méga bell.
Alors que tu as surement été nourri, jeune, par son jeu...
Mais oui,
Abe Cunningham est une de mes influences ! Ca m'a beaucoup touché. Qui ne serait pas fier de ça, je frime (rires), mais s'il le voit, il va râler ! C'est très gratifiant, mais on ne se repose jamais sur nos lauriers, et on essaye de ne jamais s'auto-caricaturer.
Est-ce que ce n'est pas le sens de cet album qui montre une vraie évolution, alors que le précédent semblait chercher une limite sonore avec un son brut de décoffrage assez usant au final ? On a l'impression d'un renouveau...
Encore une fois, c'est pas intellectuel quand on compose. Un jour j'ai dit à mon frère "Tu veux pas glisser ton son - qui fait un peu notre marque de fabrique qu'il utilise sur Flying Wales - avec le pouce et le médiator, où on voit sur Youtube des mecs qui expliquent comment faire cette technique, il l'appelle le Gojira je-ne-sais-quoi, c'était quelque chose à la base très spontané, mais là, il m'a dit "Non, j'ai pas envie de le faire" "Mais attends, les fans seraient trop contents !!! Glisses-en un à un moment !" et lui "Non, j'ai pas envie !" Par contre, il avait une pédale rouge dans le local toute la compo, une whammy, et il a trippé avec, et ça a créé le riff de 'Stranded' et 'Only Pain'. C'est inédit...
Et toi, tu as apporté de l'inédit aussi ?
Ce que j'ai apporté d'inédit, je pense, c'est d'avoir fait l'effort de servir la musique plutôt que de penser uniquement batterie. Parfois, j'ai cherché à être ultra simple. Ce sont mes principaux efforts et envies.
En faisant cliché, Gojira est mature ?
(rires) Mais carrément...
Enfin fin 2013 vous avez sorti un EP split live avec Kvelertak, chacun avait 3 titres, quelle était l’idée derrière cette sortie, filer un coup de main à ce groupe très prometteur et se faire plaisir ?
Les deux, groupe prometteur et se faire plaisir. C'est un groupe qu'on adore, on a beaucoup tourné aux Etats-Unis, en Europe... C'est des amis, on les respecte beaucoup. Faut les voir en live, ils sont mortels.
On a commencé par la question qu'on t'a trop souvent posé, au contraire quelle est celle à laquelle tu aurais souhaité répondre ?
Hum... Quelle est la différence entre un grind et un blast ? (Rires) Donc le grind, c'est "toupa-toupa-tou" alors que le blast, c'est "ta-ta-ta-ta-ta" à l'unisson avec la grosse caisse. (rires)
Merci beaucoup Mario !
Merci à vous !