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TITRE:

STEVEN WILSON (20 JANVIER 2015)


TYPE:
INTERVIEWS
GENRE:

ROCK PROGRESSIF



Music Waves a rencontré Steven Wilson, qui nous présente "Hand.Cannot.Erase", un nouveau concept album, inspiré d'un tragique fait-divers.
ADRIANSTORK - 06.03.2015 -
4 photo(s) - (3) commentaire(s)

Emploi du temps oblige, alors que nous avons plutôt l'habitude de caler nos interviews en début de promo, cette interview de Steven Wilson est sa dernière de sa journée promotionnelle en France...


Bonjour


Steven Wilson : Bonjour, content de te voir...



... Tu es content de me revoir une nouvelle fois ou parce que je suis la dernière interview de ta journée promotionnelle en France ?

(Rires) Un peu des deux, je t'avouerais... et comme je suis content que ce soit la dernière, je serais plus que concentré sur mes réponses...



Dans notre précédente interview, tu considérais ''The Raven'' comme un album différent du reste de ta discographie, non pas en raison du style, mais par rapport à la méthode que tu as empruntée (enregistré en live en studio). Comment as-tu procédé cette fois-ci? As-tu usé de la même méthode? Et quels sont les éléments qui t'ont fait préférer cette méthode par rapport à une autre?​

La méthode choisie pour cet album était similaire mais différente (rires). J'ai mis à contribution le même groupe utilisé sur ''The Raven''. Mais c'est album s'apparente plutôt à une création en studio. L'auditeur n'écoute pas un groupe en live, mais un processus de manipulation de son, de re-recording, d’expérimentations. J'ai également utilisé de nouveaux éléments comme la voix d'une chanteuse ou celles de choristes. Pour répondre à la seconde partie de la question, je dirais que la méthode dépend du type d'histoire que j´ai envie de raconter. Tout part d´une histoire et cette histoire influence la mise en forme de l´album. Le concept du précédent album était articulé autour d'un livre d´histoires de fantômes, ce qui permettait un retour au XIXème siècle, tout en conservant une dimension intemporelle. "Hand.Cannot.Erase" est un album qui se déroule aujourd'hui. On y retrouve donc des sons électroniques, des ambiances urbaines, un plus large panel d´idées musicales.





Le concept de cet album est inspiré de l´histoire fascinante de Joyce Vincent, qui est morte en 2003 (on peut en apprendre plus sur son destin dans le documentaire ´´Dreams of a life´´). Comment as-tu pris connaissance de ce fait divers et comment t´es venue l´idée de t´en inspirer pour ton travail?

Comme beaucoup de personnes, je me suis intéressé à cette histoire quand les médias en ont parlé. Mais aussi comme d´autres personnes, je me suis dit que Joyce Vincent devait être une vieille femme. Plus tard, quand le film est sorti, j´ai été choqué d´apprendre qu´il s´agissait en fait d´une jeune femme très séduisante, très populaire, très sociable et malgré cela, elle est morte et n´a manqué à personne pendant presque trois ans. C´était si extraordinaire que cette histoire m'a hantée pendant des jours et des mois. Quand j'ai décidé d'enregistrer un nouvel album, je me suis dit qu'il fallait que je parte d'elle.


​As-tu peur d'être oublié comme elle?

Je pense que chacun essaie de donner un sens à sa vie, en laissant une trace. Pour certains, cette trace passe par la famille, pour d'autres par l'escalade du Mont Everest. Une personne qui n'est pas religieuse -je ne le suis pas moi-même- pense qu'il n'y a pas d'au-delà. Alors il faut essayer de donner un sens à ce don qu'est la vie. Pour moi, la musique est mon héritage.


Tout à fait, c'est ce qui explique ta boulimie de travail.

Hum. Oui tu as raison, c'est ce qui me motive. Je me mets moi-même cette pression sur les épaules pour ne pas interrompre mon processus de création. Mais Joyce Vincent a choisi de disparaître. Et c'est là le paradoxe, car elle avait beaucoup d'amis. Elle a choisi de se retirer et de s'isoler. C'est fascinant.


​Cette histoire résume les contradictions de notre société, où de plus en plus de gens vivent dans des villes surpeuplées, et sont au contraire isolés. On dirait qu'il y a deux niveaux de lecture, le point de vue de la femme et sa solitude et le point de vue des proches et des amis. Est-ce que tu as travaillé sur ces deux aspects?

Sur cet album, j'ai d'abord développé un aspect biographique. Nous suivons en premier ce personnage depuis son enfance, avec quelques retours sur des épisodes nostalgiques jusqu'à une déconnexion et une dissociation de son être dans son appartement. Un bon conseil pour disparaître au XXIème siècle serait d'aller vivre dans une métropole. Entouré de milliers de personnes, on peut être invisible. Joyce Vincent a été la preuve vivante de ce paradoxe. Aujourd'hui si tu n'as pas de téléphone portable ou de 
Facebook, tu n'existes pas.


​L'autre contradiction, c'est qu'avec les réseaux sociaux, on peut se sentir plus connectés avec les gens.

Absolument, il n'y a même plus besoin de capter l'attention de quelqu'un par le regard. Je pense que ces réseaux sociaux sont vides, car cela encourage les gens à communiquer avec des personnes qu'ils ne connaissent pas, qui s'inventent peut-être une personnalité. On peut utiliser un exemple extrême, comme cet homme de cinquante ans qui a contacté un enfant de quatorze ans et qui l'a violée. Il y a des gens qui prétendent être ce qu'ils ne sont pas. Nous n'avons jamais eu autant d'amis virtuels. Mais peut-être que tes amis virtuels sont tes voisins de palier qui ignorent tout de toi.


Cet album a été crée à partir du point de vue d'une femme. La présence d'une chanteuse s'est présentée comme une évidence. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant d'inclure une voix de femme dans un de tes projets?

Je ne sais pas. C'est une bonne question. Pourquoi ai-je attendu aussi longtemps avant d'inclure une chanteuse dans un de mes projets? Pourquoi ai-je attendu aussi longtemps avant de travailler avec une chorale d'enfants? Je ne sais pas! (rires) Je pense que travailler avec une femme représente une évolution pour moi. Même à travers le prisme d'un personnage, mes chansons sont toujours personnelles et développent un aspect de ma personnalité. (
flaubertien) Même Joyce Vincent, c'est moi. Ses expériences, je les ai tirées de moi. Et c'est important, car je dois croire en ce personnage, penser comme lui, m'investir en lui.


Cela ressemble beaucoup à un travail d'acteur, peut-être que tu aimerais poursuivre ce travail au cinéma...

(Rêveur) J'aimerais faire du cinéma. Pour revenir à la question, quand tu écris des chansons personnelles, c'est difficile de les donner à interpréter à quelqu'un d'autre que toi. Déjà que même pour moi, elles ne sont pas faciles à chanter. C'est peut-être un excès de 
control freak...


​Arjen Lucassen m'a dit la même chose hier (retrouvez notre interview du leader d'Ayreon)...

Je suis un 
control freak depuis le début parce que je n'arrivais pas à trouver des gens pour m'accompagner. J'ai toujours eu pour habitude de tout faire moi-même et d'être le seul interprète de mes chansons. Donc c'est assez étrange d'entendre quelqu'un d'autre chanter les paroles que j'ai écrites. C'est comme écouter quelqu'un qui prétendrait être toi en t'imitant.


​Comment as-tu dirigé Ninet Tayeb?

Je n'ai rien fait de spécial, je lui ai juste donné une démo où je chantais tous les textes. Il faut savoir que Ninet n'était pas la seule chanteuse que j'ai approchée. Ce qui est intéressant chez elle, c'est qu'elle n'a pas essayé de copier ma façon de chanter. Elle m'a fait plusieurs propositions auxquelles je n'avais pas pensé. J'ai beaucoup aimé ses idées et j'en ai été très heureux. Cela donne beaucoup de confiance de travailler avec quelqu'un comme elle.


​Musicalement parlant, cet album pourrait se définir comme une synthèse de ta carrière avec une très forte approche pop. Pouvons-nous considérer cet album comme une évaluation, une façon de clore un chapitre de ta carrière, avant d'en ouvrir un autre. Si oui, quel serait le contenu du prochain chapitre?

Woah! Je ne sais pas du tout ce dont je traiterai au prochain chapitre. Je n'essaie pas de me projeter dans le futur. Aujourd'hui, je suis très satisfait de cet album. Mais je pense que tu as raison, cet album regroupe toutes les facettes de ma personnalité musicale. On a des chansons pop, des longs morceaux progressifs, des ballades au piano, des morceaux électroniques... Cet album est un patchwork des différents aspects de ma musique. Ce n'est pas facile de tout synthétiser...


​Il faut que cela fasse sens!

Oui, cela doit être cohérent et cela m'a pris beaucoup de temps pour trouver une balance. Mais le concept suggérait cette dimension étendue et épique de l'album.


A propos du concept, est-ce que tu aurais travaillé de la même façon si tu avais enregistré cet album sous le nom de Porcupine Tree?

Woah! Je n'aurais pas pu faire cet album avec 
Porcupine Tree, cela n'aurait pas marché.


Pourquoi?

(Il réfléchit) Il y a beaucoup de moi dedans. Je sais que les gars de 
Porcupine Tree auraient contesté certains de mes choix. Quand tu es dans un groupe, c'est difficile de s'accorder parfaitement sur toutes les idées musicales. Mais j'aime aussi travailler avec un groupe!


​On peut sentir un progrès vocal sur ''The Raven''. Tes prouesses vocales sont également remarquables sur ce nouvel album (les chansons 'Ancestral' et sur les choeurs dans 'Routine'). Tu as dit que l'album ''The Dreaming'' de Kate Bush avait inspiré ta façon de chanter. Est-ce que tu as beaucoup travaillé sur ta voix ces dernières années?

Pas de manière consciente. Mais en choisissant une carrière solo, j'ai dû me concentrer sur ma position de chanteur. En choisissant une carrière solo, j'ai mis de côté mon rôle de musicien. Je ne joue pas de guitare sur tout l' album, à l'inverse de 
Porcupine Tree


​Mais est-ce que cette position te conforte où est-elle source de pressions?

Les seules pressions que je subis sont celles que je m'impose. Ces pressions n'ont pas pour but de me brimer -et crois moi, c'est facile de se brimer - ''Oh j'ai déjà écrit ça!'' ''Oh! j'ai encore choisi la facilité'' (rires), mais elles ont pour but de me pousser à concrétiser des idées qui me satisfont et qui entretiennent la nouveauté. Je sais qu'il y a beaucoup de fans qui aimeraient que je fasse ''The Raven That Refused To Sing Part 2'',''Fear of the Black Planet Part2''...





Mais il y a aussi des fans qui n'apprécieraient pas, car si tu en comptes beaucoup autour de toi, c'est surtout parce que tu as enregistré des albums si différents. Nous avons parlé de Kate Bush, est-ce que c'est une coïncidence ou est-ce un acte conscient si la femme qui figure sur la pochette ressemble à Kate Bush?

Je devrais regarder à nouveau alors. C'est une coïncidence. C'est mon directeur artistique qui a choisi ce modèle.


Tu as utilisé la même formation que sur ''The Raven''. Travailler avec toi semble être une priorité pour ce groupe, ce qui m'a été confirmé par Guthrie Govan. Pouvons-nous penser que cette formation est stable et qu'elle sera inchangée pour la tournée?

Malheureusement non. J'aurais aimé avoir une formation stable. Mais comme ils sont aussi un groupe, je vais les perdre au mois de juin pendant la tournée européenne. Ils seront remplacés par d'autres musiciens, également très doués.


​Qui sont-ils?

Le guitariste sera Dave Kilminster, qui a accompagné Roger Waters en tournée. Pour revenir à la question initiale, je suis très content de pouvoir partager mon travail avec de grands musiciens, mais c'est aussi symptomatique du fait qu'il n'y ait pas suffisamment de dates où les musiciens pourraient se mettre au service d'un artiste pour jouer de nouvelles compositions, des chansons au lieu de faire un boeuf avec d'autres musiciens.


​Les sujets que tu traites reflètent souvent une critique de notre société moderne, comme lorsque tu détruis l'aliénation aux techniques de production (dans les photos du livret d' ''Insurgentes'', un ipod est détruit), les peurs modernes concernant l'isolement et la solitude dans une société de plus en plus urbaine. Pouvons-nous dire que ces thèmes sont exploités dans cet album et qu'ils font partie d'une grille de lecture de ta discographie?

Probablement. Je ne suis pas tout à fait conscient de ce processus. Mais comme tout compositeur, il y a des thèmes qui reviennent assez régulièrement dans mon écriture. A mes yeux, ma marotte serait l'idée que la technologie nous isole.


Certains de tes albums favoris (''The Wall'', ''Tommy'', ''Ok Computer'') partagent également cette peur et l'aliénation du monde moderne (technologique, sociale et culturelle). Es-tu sur la même longueur d'ondes que ces albums qui sont pourtant sortis à différentes époques?

C'est un thème similaire à l'amour. On peut écrire des millions de chansons sur l'amour, en trouvant toujours une approche originale. La technologie évolue très rapidement. Si j'avais enregistré cet album il y a cinq ans, le son aurait été différent.


C'est un peu contradictoire, car tu es considéré comme l'un des meilleurs ingénieurs du son et tu es très demandé.

J'aime la technologie. On peut faire des choses merveilleuses avec les téléphones portables, avec Internet, avec la télévision. Mais la technologie n'est bonne que lorsqu'elle est mise au service de l'humain. Malheureusement beaucoup de gens utilisent Internet pour télécharger de la musique, des films pornos, pour jouer aux jeux vidéos, ou pour parler pour ne rien dire.


Tu as dit lors de notre dernière interview en 2013 que tu te sentais comme jamais très inspiré. Est-ce que c'est toujours le cas?

J'ignore d'où cela provient, mais je parviens toujours à m'étonner. Lorsque j'en viens à terminer un album, je me dis toujours : ''Je ne peux plus refaire ça'' ou ''C'est mon dernier album et après j'arrête''... Parce que c'est long, c'est fatiguant, c'est stressant. Et pourtant à chaque fois, je trouve toujours quelque chose de nouveau qui m'empêche de tomber dans une routine. A partir du moment où je me lance dans les flots, je me sens très inspiré, encore aujourd'hui.


Tu es probablement le musicien le plus passionnant de ton époque, mais tu travailles également sur des mixages d'anciens albums. Est-ce que tu aurais souhaité vivre et travailler il y a quarante ans?

C'est une bonne question. Au fond de moi, je dois regretter d'être né vingt ans plus tard et d'avoir manqué cette époque très riche. Cela aurait été intéressant de faire de la musique dans les années 70. Mais j'ai grandi dans les années 80 et c'était aussi une époque créative. J'écoutais de très bons groupes, 
Public Image Limited, The CureJoy DivisionThe Smiths etc... Par contre, je n'aimerais pas grandir aujourd'hui, je ne trouve pas que cette période soit intéressante musicalement parlant. Donc, je suis plutôt chanceux d'avoir été jeune dans les années 80 (Rires).


Pourtant les jeunes enfants d'aujourd'hui peuvent écouter du Steven Wilson!

Oui, malheureusement (Rires). Ce que je voulais dire, c'est que si j'avais été enfant aujourd'hui, je n'aurais pas trouvé grand chose à me mettre sous la dent.


​Que penserais-tu si un jeune musicien venait à remixer tes albums quarante ans plus tard?

Je ne sais pas si je le permettrais, car je suis un 
control freak. Il faudrait vraiment qu'ils gagnent ma confiance pour que je leur permette de remixer mon travail.





Tu es réputé pour être un grand producteur qui exige une très bonne qualité de son. Comment expliques-tu cette tendance à revenir vers des sons analogiques utilisés avant la digitalisation?

J'aime les sons analogiques, mais j'aime surtout la flexibilité offerte par les sons digitaux. J'aime enregistrer de manière traditionnelle en utilisant le piano, le mellotron, l'orgue Hammond, la guitare acoustique. Mais j'aime aussi bousculer, manipuler, distordre le son avec des commandes digitales.


​Dans cette activité où s'arrête la part de la technique pure et où commence la part artistique?

Je ne pense pas que la production soit de la technique pure, c'est aussi créatif. Il y a aussi un aspect technique lorsque j'enregistre un de mes albums.


Supposons que tu décides de remonter Porcupine Tree, de quelle part de ''Hand.Cannot.Erase'' t'inspirerais-tu dans l'écriture du prochain album de Porcupine Tree?

Woah! Bonne question. Je pense que si je revenais vers 
Porcupine Tree, mon travail prendrait une orientation inédite. Je pense que je dirais aux autres membres : ''Ecrivons ensemble''. Il n'y aurait aucun intérêt de revenir à Porcupine Tree et de refaire la même chose. Mais une reformation n'est pas impossible, et cela pourrait bien arriver un jour.


Merci...

Merci à toi.


Merci à Nuno777 pour sa contribution...



Plus d'informations sur https://stevenwilsonhq.com
 
(3) COMMENTAIRE(S)  
 
 
ADRIANSTORK
10/03/2015
  0
Nous sommes les Emerson Lake and Palmer de Musicwaves :) Merci à tous les deux.
STRUCK
06/03/2015
  1
Un vrai travail d'équipe made in Music Waves: toi en amont (et cette superbe chronique), moi à la partie contact de l'artiste et Adrian pour cet très bon travail de retranscription....
NUNO777
06/03/2015
  1
Woah! Super interview Struck :)!
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